
Interview de Jacky Vama, frère de Guillaume Vama
Pouvez-vous vous présenter succinctement ?
Je suis le grand frère de Guillaume. Nous sommes d’une famille de sept enfants, je suis l’aîné et lui le plus jeune. Dans notre langue, je suis la tête de poisson et lui la queue du poisson.
En tant que kanak, on vit en communauté, on est très famille.
Je suis issu d’un grand clan où nous sommes beaucoup, du côté de mon père comme du côté de ma mère.
Je suis né à l’Ile-de-Pin, très au sud de la Kanaky Nouvelle-Calédonie, c’est la dernière île qui compose l’archipel. En langue de chez nous on dit Kwényii. Guillaume a grandi au même endroit.
J’avais 19 ans quand je suis arrivé ici. Ça va peut-être surprendre beaucoup de personnes mais j’ai servi dans l’Armée française pendant 22 ans, dans l’Infanterie de Colmar, et je suis retraité depuis quelques mois.
Aujourd’hui, je suis installé à Lyon. Je m’occupe de mon frère qui est incarcéré à la Maison d’arrêt de Bourges, et je fais le lien entre nous et les collectifs de soutien qu’il y a ici à Bourges.
Votre frère est incarcéré depuis le 22 juin 2024 suite à la révolte qui a eu lieu en mai 2024 en Kanaky. Quelles sont les dernières nouvelles que vous avez de lui ? Comment se porte-t-il, physiquement et moralement ?
Il va bien. Guillaume est quelqu’un de très positif. Il a trouvé le courage d’accepter sa détention.
Il est au courant de tout ce que nous faisons avec les collectifs de soutien et ça lui donne la force de tenir.
Il est très entouré par sa famille. Avec ma sœur qui vit à Toulouse, depuis neuf mois, on vient toutes les semaines en alternance. On peut le voir le lundi, le mercredi et le vendredi. Le soutenir représente beaucoup de temps, d’énergie et d’argent aussi pour venir à Bourges, se loger… Mais c’est normal, c’est notre frère et la famille, c’est important pour Guillaume.
« Guillaume cherche la connaissance auprès de nos vieux, de nos ancêtres »
Comment présenteriez-vous Guillaume Vama : quel est son parcours ? Quelle était sa vie en Kanaky avant son arrestation ?
Guillaume est quelqu’un de très ouvert.
Il a eu un parcours scolaire court : il est sorti de l’école à quinze ans mais il aimait beaucoup apprendre. Alors il est devenu autodidacte.
Il est d’abord allé chercher la connaissance auprès de nos vieux, de nos ancêtres. Il est très attaché à la culture kanak.
Ensuite, il y a cinq-six ans, il est venu en métropole, en Hongrie et en Belgique, pour se former dans le domaine de l’agriculture car il prône l’autosuffisance alimentaire. Il est persuadé que c’est possible en Kanaky Nouvelle-Calédonie. Aujourd’hui, 80 % des produits vendus en Kanaky sont importés, alors que sur place, on aurait tout ce qu’il faut pour vivre !
Son travail au niveau professionnel, c’est l’agro-foresterie.
En prison, Guillaume travaille à la bibliothèque et a pris des initiatives auprès des autres détenus, pouvez-vous nous en parler ?
Guillaume lit beaucoup, depuis très jeune. L’école ne lui convenait pas mais il aimait beaucoup lire. Pour vous dire, la Maison d’arrêt nous a demandé de ralentir l’envoi des livres parce que bon, c’est une cellule, pas une chambre universitaire ! (sourire)
En prison, il a fait des ateliers de Communication Non Violente (CNV) avec les femmes et les hommes, avec l’accord de l’administration pénitentiaire. Il a été formé par Thomas d’Assembourg qui est un grand coach de CNV en Belgique.
Il a aussi écrit des articles qui sont sortis dans le journal de la prison.
« Ce qui s’est passé le 13 mai 2024, c’est une révolte, pas une émeute »
Le transfert en France des membres de la CCAT (1) a été présenté comme une manière de calmer les choses, dans un contexte politique très sensible. Qu’en pensez-vous ?
Oui, on l’a ressenti comme ça aussi, parce que ces sept personnes avaient su fédérer et ouvrir les yeux de beaucoup de gens sur le devenir de Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il fallait couper la tête du serpent...
Mais ce qui s’est passé le 13 mai 2024, c’est une révolte, pas une émeute. Les gens se sont révoltés par rapport à une situation identitaire injuste. Il fallait voir les manifestations : ça a commencé à 40 pour finir à 60.000 personnes ! Ça ne s’était jamais vu !
Je tiens à insister : la CCAT, c’est une cellule de coordination de terrain pacifique qui tient des discours pacifiques. Elle prône la paix et le vivre-ensemble, et le 13 mai, elle appelait simplement à manifester contre le dégel électoral (2).
Il y a beaucoup de problèmes. Un exemple : à Nouméa, vous avez en fait une ville coupée en deux avec tous les Océaniens dans les quartiers nord défavorisés et au sud, uniquement des colons, des Français, même si certains sont contre le système colonial. C’est aussi pour ça qu’il y a eu la crise du 13 mai. Ceux qui sont pauvres, ce sont les Kanak et les Océaniens. Les Européens, même ceux qui arrivent aujourd’hui, sont beaucoup plus avantagés.
C’était donc une cocotte-minute sociale qui bouillait. Le vote du dégel électoral, c’est le couvercle qui a sauté.
Lorsque vous avez appris l’arrestation de Guillaume Vama, quelle a été votre réaction et celle de votre famille ?
On a été surpris et choqué : « pourquoi lui ? Qu’est-ce qu’il a fait ? »
Les parents avaient peur, et aussi sa femme et ses filles.
Guillaume est quelqu’un d’engagé. Il a été arrêté par rapport à son engagement pour l’auto-suffisance alimentaire, qui est forcément lié à l’autonomie de Kanaky Nouvelle-Calédonie...
Mais il n’accepte pas les accusations portées contre lui (3).
Sept personnes ont été transférées dans l'Hexagone, dont cinq sont toujours en détention provisoire. Avez-vous des liens avec les familles des autres personnes inculpées ? Comment s'organisent les familles pour faire entendre leur voix ?
Sur un réseau social, on a créé un groupe entre toutes les familles pour échanger sur nos difficultés et on essaie d’avancer ensemble. On échange beaucoup d’informations.
La plupart des familles – conjoints et conjointes – qui sont ici ont débarqué du jour au lendemain, elles ont suivi les prisonniers. Il leur faut le temps de s’acclimater, de découvrir, de comprendre le système ici car malgré le fait que la Kanaky Nouvelle-Calédonie soit française, le système n’est pas le même.
On essaie de s’entraider.
« C’est fini l’époque des bagnards et des Communards de Paris ! »
Quelles sont vos revendications prioritaires pour les prisonniers kanak en général, et pour Guillaume Vama en particulier ?
La première chose, c’est leur libération. Ils n’ont rien à faire en prison. On sait que c’est seulement parce que leurs idées ne conviennent pas au pouvoir.
Leur place est chez eux. Pourquoi les déporter ici ? Dans les lois françaises, les détenus ne doivent pas rester aussi loin de chez eux. Je ne vois pas un prisonnier français être déporté en Kanaky Nouvelle-Calédonie. C’est fini l’époque des bagnards et des Communards de Paris !
La deuxième chose, c’est un soutien financier.
Enfin, on réclame une visibilité publique de la situation. Il faut que les médias en parlent. Tout n’est pas dit et il y a beaucoup de mensonges.
Un peu partout en France, des collectifs de soutien se sont créés, comme à Bourges avec le Collectif Solidarité Kanaky du Cher. Quels sont vos liens avec ce collectif ?
Ici à Bourges, j’ai pris tout de suite contact avec Mathijs et Claire (3) qui avaient créé un collectif il y a longtemps. Il y avait déjà un socle.
On a mis les choses au clair : je veux seulement du soutien pour Guillaume et les autres prisonniers. Je ne voulais pas que des partis politiques se mettent en avant, ou telle organisation, ou telle association. L’important, c’est de parler des prisonniers.
Ça se passe très bien entre nous.
« Il y a beaucoup de méconnaissance de ce qu’est la Kanaky Nouvelle-Calédonie »
Avez-vous l'impression que vous êtes entendu.es par les habitant.es de l'Hexagone ? Qu’iels sont suffisamment au courant de l'histoire de Kanaky Nouvelle-Calédonie pour être capables de se faire une opinion par elleux-mêmes ?
J’ai servi 22 ans dans l’Armée et beaucoup de Français d’ici se demandaient d’où je venais. « Kanaky Nouvelle-Calédonie, c’est en Afrique ? » Personne ne pouvait me la situer...
On a alors le sentiment d’être des « Français de papier ». Pourtant, on est né français, on ne l’est pas devenu...
Il y a beaucoup de méconnaissance de ce qu’est la Kanaky Nouvelle-Calédonie et qu’elle fait partie de la République française.
Beaucoup de gens ne savent pas réellement ce qui se passe là-bas. Qu’il y a un peuple premier qui date de 3.000 ans qui s’appelle Kanak. Ça fait partie de notre travail de visibilité ici à Bourges, avec l’organisation de soirées, avec les collectifs de soutien. Quand les habitants d’ici y viennent, ils comprennent pourquoi on revendique nos droits, pourquoi on demande que l’Etat français reconnaisse qu’il y avait un peuple avant lui en Kanaky Nouvelle-Calédonie et qu’il sera toujours là.
On ne dénigre pas ceux qui sont arrivés hier. On dénonce un système colonial qui est mis en place pour rendre minoritaire le peuple kanak. Mais on ne combat pas les Français qui vivent avec nous et avec qui nous allons continuer à vivre. On intègre tout le monde : la Kanaky, nous le la voulons pas que pour les Kanak. Ce n’est pas mon discours et ce n’est pas celui de Guillaume.
Comment décririez-vous la situation actuelle en Kanaky ? Le calme est-il réellement revenu ou des tensions subsistent-elles encore ?
Les gens ont repris le cours de leur vie, leurs habitudes et ils commencent à reconstruire. Les écoles ont rouvert au mois de février. Il y a eu beaucoup d’entreprises incendiées, des gens ont perdu leur travail... je ne cautionne pas ça.
Il n’y a plus la même tension que l’année dernière mais on sent que c’est fragile. Tout le monde est méfiant, fait attention à ce qu’il dit.
Les gens ont besoin de stabilité et de paix.
« J’ai beaucoup d’espoir depuis le dépaysement du dossier à Paris »
Le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, s'est rendu dans l’archipel le 22 février et est resté une semaine pour rouvrir le dialogue avec les différents partis et mouvements politiques, mais aussi les partenaires sociaux et économiques. Le fait qu'il ait participé avec Jospin aux accords de Nouméa vous semble-t-il un bénéfice ?
Manuel Valls a quand même réussi à réunir autour de la table les différentes composantes politiques – loyalistes et indépendantistes – ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps. Ils ont pu faire un point sur la situation.
C’est quelqu’un qui connaît l’histoire et les enjeux de Kanaky, contrairement aux messieurs Attal et Darmanin qui, pour moi, sont responsables de la crise et de tout ce qui s’est passé.
Mais il faut faire attention car c’est quand même Emmanuel Macron, le président, qui est le décideur de ce qui s’est passé le 13 mai, qui reste au-dessus de Manuel Valls.
Que retenez-vous de cette visite ? Y voyez-vous une avancée positive pour l'avenir de Kanaky ?
Il n’y a pas vraiment eu d’avancées mais il y a eu des signaux positifs.
Les avancées, ce serait de trouver des accords pour l’autonomie de Kanaky, que la paix revienne et que nos frères et sœurs enfermé.es sortent.
Cet agenda politique vous aide-t-il à visibiliser votre cause ? Ou, au contraire, le contexte politique sensible vous incite-t-il à prendre des précautions ?
C’est un bon timing. Il fallait qu’il vienne et il faut qu’il revienne. Les gens en Kanaky Nouvelle-Calédonie veulent sortir de cette crise, notamment économique et politique.
Mais pour les prisonniers, il a ré-affirmé la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice. Donc ça n’a pas de rapport. Après, on n’est pas dans les coulisses de l’Etat...
Mais j’ai beaucoup d’espoir depuis le dépaysement (4) du dossier à Paris.
Propos recueillis par Fanny Lancelin
Notes
- (1) CCAT : Cellule de Coordination d’Actions de Terrain qui a appelé à manifester contre le dégel électoral en Kanaky Nouvelle-Calédonie le 13 mai 2024.
- (2) Lire la rubrique (Ré)acteur.ices.
- (3) Mathijs Schoevaert et Claire Dumas, membres fondateurs du Comité de soutien au peuple kanak dans les années 1990 et du Collectif Solidarité Kanaky 18 en 2024. Lire aussi la rubrique (Ré)acteur.ices.
- (4) A la demande de huit des inculpé.es du dossier dit « CCAT », l’instruction a été transférée de Nouméa à Paris. On parle alors de « dépaysement ». https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/11/09/01016-20111109ARTFIG00658-qu-est-ce-que-le-depaysement-judiciaire.php