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Pourquoi Guillaume Vama, prisonnier kanak, est-il incarcéré à Bourges ?

Il y a près d'un an, suite à la révolte du 13 mai 2024 en Kanaky Nouvelle-Calédonie, sept militant.es kanak étaient transféré.es et incarcéré.es dans l'Hexagone. Parmi elleux : Guillaume Vama, toujours en détention provisoire à la Maison d'arrêt de Bourges. Que lui est-il reproché ? Quels types de soutiens reçoit-il dans le Cher ? Comment sa situation et celle de l’ensemble des prisonnier.es kanak résonne-t-elle avec la ré-ouverture des négociations sur le statut de la Kanaky Nouvelle-Calédonie ? 

Quelques minutes pour dire « au revoir », une poignée d’autres sans doute pour embrasser du regard sa terre natale avant qu’elle ne s’éloigne à mesure que l’avion prend de l’altitude, puis trente longues heures à supporter le bruit assourdissant des moteurs et les menottes… A quoi pensaient alors Frédérique Muliava, Dimitri Qenegei, Christian Tein, Steeve Üné, Guillaume Vama, Yewa Waetheane, Brenda Wanabo Ipeze (1) ? S’imaginaient-iels compter les minutes, les heures, les jours en prison ? Une prison faite de murs ou de frontières, à 17.000 kilomètres de leur archipel.

Dans la nuit du 22 au 23 juin 2024, ces sept personnes indépendantistes kanak (2) ont été transférées depuis la Kanaky Nouvelle-Calédonie (3) jusqu’en Hexagone (4) où elles ont été incarcérées à Blois, Bourges, Dijon, Nevers, Mulhouse, Riom et Villefranche-sur-Saône. C’est ainsi que Guillaume Vama est arrivé à la « prison du Bordiot », la Maison d’arrêt de Bourges. Quelques jours plus tard, le 6 juillet, un rassemblement était organisé par le Collectif Solidarité Kanaky 18 au marché de la Halle aux Blés, en présence de nombreux.ses Kanak. Depuis, le collectif multiplie les événements, afin d’alerter sur la situation des prisonnier.es et de l’archipel.

 

Guillaume Vama. (Photo : extrait de la série documentaire « Ma terre pour demain », BAM production)

Mais qui est Guillaume Vama et que lui est-il reproché ? Quels types de soutiens peut-il recevoir ? Comment sa situation et celle de l’ensemble des prisonnier.es kanak dans l’Hexagone résonne-t-elle avec l’actualité, notamment la ré-ouverture des négociations sur le statut de la Kanaky Nouvelle-Calédonie ?

Contre les inégalités sociales et identitaires

Son prénom kanak, Weregnia, signifie « jeune pousse de paille », la paille avec laquelle on construit sa case, la maison kanak. Né il y a 30 ans sur l’Ile-des-Pins, Guillaume Vama est agro-forestier. Co-fondateur de l’association Agir NC (5), en partenariat avec l’ingénieur en biotechnologie Mickaël Sansoni et l’ingénieure de l’environnement Marylin Déas, il expérimente des techniques culturales qui relient sur une même parcelle les arbres, les cultures vivrières, potagères et maraîchères ainsi que les animaux d’élevage. Alors que 85 % des produits consommés en Kanaky Nouvelle-Calédonie sont importés, Guillaume Vama prône l’autosuffisance alimentaire.
Un sujet qui entre en résonance avec la manière dont les terres sont inégalement réparties sur l’archipel, au détriment du peuple kanak (lire la rubrique historique (Re)découvrir). Les inégalités sociales et identitaires sont à l’origine de tensions régulières sur l’archipel, entre les habitant.es selon leurs origines – natifs et natives, résident.es venus de territoires proches océaniens ou de l’Hexagone. Elles ont nourri la révolte déclenchée le 13 mai 2024.

Certes, il s’agissait au départ de manifester contre le dégel du corps électoral (lire en encadré). Mais la pauvreté et le sentiment de déconsidération subis par les Kanak ont alimenté la colère : grèves, barrages routiers, mutineries à la prison du camp est, incendies d’entreprises et de magasins, affrontements avec les forces de l'ordre… La Kanaky Nouvelle-Calédonie a vécu un soulèvement comme elle n’en avait pas connu depuis longtemps. « Près de 4.000 membres des forces de l’ordre ont été envoyés là-bas, rappelait Maître François Roux, l’un des avocats des indépendantistes, lors d’une conférence qui s’est tenue à Bourges le 20 mars dernier. La répression a été colossale ! Plus de 2.500 gardes à vue ce qui, par rapport au nombre d’habitant.es, (6) correspondrait à plus d’un million de personnes ici en France ! »

Conférence du 20 mars au Muséum d’histoire naturelle de Bourges, organisée par le Collectif Solidarité Kanaky 18. De gauche à droite : Maître François Roux, Mehdi Lallaoui, Isabelle Leblic, José Bové,  Mathijs Schoevaert et Jacky Vama. (Photo : Fanny Lancelin)

De lourdes accusations

Parmi les personnes arrêtées, des figures de la lutte indépendantiste : Christian Tein, leader du FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste) ; Joël Tjibaou, l'un des fils du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou assassiné en 1989 ; Frédérique Muliava, directrice de cabinet du président du Congrès de Nouvelle-Calédonie ; ou encore Brenda Wanobo Ipeze, en charge de la communication de la CCAT (Cellule de Coordination des Actions de Terrain), organisation accusée par les Loyalistes d’être à l’origine de la révolte.
Au total, quatorze personnes ont été tuées durant cette période. « Deux gendarmes sont décédés : un par un tir accidentel en caserne, un autre dans le cadre de ses fonctions pour lequel une instruction est toujours en cours, explique Maître Louise Chauchat. Mais pour les autres, ce sont des Kanak abattu.es froidement par des forcenés dont Stéphanie, une jeune fille de 17 ans qui s’est pris une balle dans la tête ainsi que son oncle, et Djibril, 19 ans, qui s’est pris une balle dans le dos. Et les autres sont des victimes des forces de l’ordre. »

Qu'en est-il de Guillaume Vama ? « C’est quelqu’un de très connu dans la société calédonienne, énormément impliqué dans la vie associative et écologiste, explique son avocate, Maître Louise Chauchat (7). Il est inséré : il travaille, il a beaucoup d’activités. C'est un militant indépendantiste qui n’a absolument rien à faire en détention. »
Guillaume Vama est également connu pour être formé à la Communication Non Violente. Il a voyagé en Hongrie et en Belgique pour cela, et a reçu des enseignements de Thomas d’Assembourg (lire l'interview de son frère Jacky Vama à la rubrique (Re)visiter).

Les accusations qui pèsent contre lui sont toutefois lourdes : « Le 22 juin 2024, il a été mis en examen pour complicité de tentative de meurtre sur les forces de l’ordre, vol en bande organisée avec arme, destruction du bien d’autrui par des moyens dangereux et participation à une association de malfaiteurs en vue de l’organisation de crimes ou de délits, rappelle Maître Louise Chauchat. Mais par une ordonnance rendue le 30 novembre 2024, il a été finalement placé sous le statut de témoin assisté sur les faits retenus les plus graves, c’est-à-dire la complicité de tentative de meurtre. Il ne peut donc plus être poursuivi sur ces faits-là. »

L’affaire dépaysée à Paris

Où en est l’instruction ? En janvier, à la demande de huit des mis.es en examen, la chambre criminelle de la Cour de cassation a ordonné le dépaysement des investigations judiciaires, les deux juges de Nouméa étant ainsi dessaisis de l’affaire au profit de juges à Paris. « La Cour a statué en disant qu’en raison d’une bonne administration de la justice et au regard de la situation de la Nouvelle-Calédonie, et du fait que les mesures d’incarcération étaient exécutées en métropole, il était nécessaire que le dossier soit traité en métropole, détaille Maître Louise Chauchat. C’est un pied de nez au procureur de la République qui a souhaité les transferts... donc il est normal que le dossier suive. Tous les actes qui ont été faits dans le cadre de l’instruction jusqu’ici demeurent mais les prochains seront faits à Paris : les actes d’enquête, les interrogatoires, l’étude du dossier, les vérifications de qualifications, etc. Guillaume Vama a fait l’objet d’un premier interrogatoire auprès de la juge d’instruction. Il y a eu des actes d’enquête. Et pour l’instant, on attend que des confrontations soient organisées. »

L’avocate réclame également la remise en liberté de Guillaume Vama. Brenda Wanabo Ipeze et Frédérique Muliava en ont déjà bénéficié, mais elles restent sous contrôle judiciaire et n’ont pas l’autorisation de sortir de l’Hexagone.

Un soutien aux prisonnier.es et à leurs familles

En attendant, des collectifs ont émergé un peu partout en France pour soutenir les prisonnier.es et leurs proches. C’est le cas à Bourges où Mathijs Schoevaert et Claire Dumas avaient déjà fondé le Comité de soutien au peuple kanak dans les années 1990 après la mort de l’indépendantiste Jean-Marie Tjibaou. Iels avaient notamment organisé l’inauguration d’une plaque commémorative au Val-d’Auron et une journée inter-culturelle à laquelle avaient participé de nombreux.ses Kanak. Mais après dix ans d’activité, le comité s’était mis en sommeil « parce qu’avec les accords de Matignon et de Nouméa, le processus de décolonisation suivait son cours », raconte Mathijs Schoevaert.

Inauguration de la rue Jean-Marie Tjibaou en 1990 à Bourges par le Comité de soutien au peuple kanak. (Photo : collection de Mathijs Schoevaert)

L’arrivée de Guillaume Vama à Bourges a réveillé la lutte et le comité s’est transformé en Collectif Solidarité Kanaky 18 (8). Il se compose de syndicats (CGT, Solidaires, CNT-SO, Confédération paysanne), de mouvements et partis politiques (NPA, PCF, PCOF, POI, LFI, UCL), de collectifs et d’associations (Mouvement de la paix, Attac, Cimade, FASTI, les Ami.es de la Commune de Paris, Ki-6-Col). Au total, une trentaine de personnes y sont actives.
Leurs objectifs ? « Soutenir les prisonnier.es et leurs familles, et agir pour la libération des prisonnier.es politiques dans l’Hexagone et en Kanaky, explique Mathijs Schoevaert. Nous travaillons avec les familles, selon leurs souhaits. Nous n’intervenons pas sur l’aspect juridique ni dans les affaires internes kanak. »

Le collectif organise des rassemblements, comme en juillet au marché berruyer et en décembre devant la Maison d’arrêt de Bourges, pour marquer les six mois de détention de Guillaume Vama. Il propose également des réunions publiques d’informations dont la dernière s’est tenue le 20 mars en présence d’Isabelle Leblic (anthropologue), de Maître François Roux (avocat du FLNKS), de Mehdi Lallaoui (réalisateur du film « Kanaky Nouvelle-Calédonie, la trajectoire (interrompue) du Caillou ») et de José Bové (membre de la Confédération paysanne et ancien député européen).

Rassemblement au marché de la Halle aux Blés à Bourges, le 6 juillet 2024, organisé par le Collectif Solidarité Kanaky 18. (Photo :  Collectif Solidarité Kanaky 18)


A cette occasion, le collectif a lancé un appel aux dons. « Nous avons pu remettre à Jacky [Vama, frère de Guillaume] une belle somme d'argent, souligne Claire Dumas. Pour des personnes souhaitant apporter leur soutien financier aux détenus et leurs familles, le plus simple est de s'adresser à l'AISDPK (9), dont Isabelle Leblic est vice-présidente. Il n'y aura pas de plateforme locale. »

Les prochains rendez-vous du collectif se dérouleront à l’Antidote, café militant associatif à Bourges : le 15 mai à 19 heures pour l'histoire du Collectif Solidarité Kanaky 18 depuis les années 1990 ; et le 12 juin à 19 heures, Mathijs Schoevaert (qui a été ouvrier aux fonderies de Mazières à Bourges) assurera une conférence sur le nickel, l’un des intérêts majeurs de la présence française dans l’archipel.

Fanny Lancelin

A lire également : l’interview de Jacky Vama, frère de Guillaume Vama, dans la rubrique (Re)visiter.

 

Notes

(1) Neuf personnes ont été incarcérées dans le dossier dit de la CCAT : les sept citées dans le texte mais aussi Gilles Joredie, toujours en détention provisoire au camp est de Kanaky Nouvelle-Calédonie et Joël Tjibaou sous contrôle judiciaire à Nouméa après être aussi passé par le camp est.
(2) Depuis une décision du gouvernement de Kanaky le 9 janvier 1985, on écrit « kanak » (et non plus « canaque » comme le faisaient les colons), invariable en genre et en nombre quelle que soit la nature du mot (substantif, adjectif, adverbe).
(3) Nous faisons le choix ici de faire apparaître les deux noms comme le font les protagonistes kanak que nous avons rencontrés, pour marquer l’importance de reconnaître cet archipel à la fois comme terre du peuple kanak et des peuples installés depuis la colonisation.
(4) Dans une perspective politique de soutien au mouvement de décolonisation, le terme Hexagone sera préféré au terme « métropole ».
(6) Au recensement de 2019, la Kanaky Nouvelle-Calédonie comptait 271.407 habitant.es.
(7) Le cabinet Deswarte, Calmet et Chauchat représente Joël Tjibaou, Brenda Wanabo Ipeze et Guillaume Vama.
(8) Le collectif national : https://solidaritekanaky.fr/

Plus

Depuis mai 2024, la reprise du dialogue

A l’origine de la mobilisation des indépendantistes le 13 mai 2024 : la contestation du dégel électoral. Depuis 1998, en vertu de l’accord de Nouméa, seul.es les natifs et natives, et les résident.es de longue date peuvent prendre part aux élections provinciales. Celles-ci sont très importantes : en effet, la distribution des sièges au sein des provinces influence directement la répartition des sièges au Congrès (le Parlement local), qui à son tour désigne le président du gouvernement de Kanaky Nouvelle-Calédonie. 

Portée par le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer de l’époque, Gérald Darmanin, une réforme prévoyait d’intégrer environ 25.000 personnes supplémentaires sur la liste électorale : 12.441 natifs et natives, et près de 13.400 résident.es depuis au moins 10 ans. Les indépendantistes craignaient que cette répartition soit défavorable au peuple kanak et le minore encore davantage.

Le nouveau ministre des Outre-Mer, Manuel Valls, qui connaît bien le sujet – il a participé au processus de décolonisation à travers les accords de Matignon et de Nouméa (10) – a été chargé d’éteindre l’incendie en relançant le processus de dialogue. Celui-ci était au point mort depuis le dernier référendum sur l’indépendance, en décembre 2021 : les indépendantistes l’avaient boycotté notamment parce qu’Emmanuel Macron avait décidé de l’avancer malgré la crise sanitaire.

Après des réunions bilatérales à Paris organisées avec toutes les parties, Manuel Valls s’est rendu une première fois sur l’archipel du 20 février au 1er mars dernier, dans le but de réunir toutes les forces politiques autour de la table et de faire un point sur les revendications de chacun.e. Pari tenu.
Le 28 février, il publiait un document d’orientations, base des discussions suivantes, qui ont eu lieu sur l’archipel du 29 mars au 1er avril. Le 30 mars, le ministre remettait aux délégations un projet d’accord politique non divulgué à la population. Elles doivent être retravaillées en vue de la phase de négociations qui se déroulera à partir du 29 avril. L’objectif serait de « parvenir à un accord global sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ».

A lire également : l’histoire de la Kanaky Nouvelle-Calédonie à la rubrique (Re)découvrir.