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A l’école, des unités spécialisées pour apprendre le français

15 décembre 2023 - 15 janvier 2024
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Lorsqu’iels sont mineur·e·s, les étranger·e·s ne sont pas tenu·e·s d’avoir un titre de séjour et ne seront donc pas immédiatement soumis·e·s aux nouvelles exigences imposées par la loi en matière de français (lire la rubrique (Ré)acteur·ice·s). Pourtant, maîtriser la langue de leur pays d’accueil reste un enjeu essentiel d’inclusion. A l’école, iels intègrent des classes spécialisées et bénéficient d’un enseignement sur-mesure. Exemple au lycée professionnel de Jean-de-Berry à Bourges.

Difficile de croire qu’il y a quelques mois seulement, Ahmed Hamid Ataher ne parlait pas un mot de français. Aujourd’hui, il s’exprime parfaitement, avec un débit soutenu, qui font dire à ses professeur·e·s qu’il est un bavard. « Je viens du Soudan. Ma langue maternelle, c’est l’arabe. » Arrivé en France à l’âge de 15 ans avec sa famille, Ahmed a été scolarisé au lycée des métiers du bâtiment Jean-de-Berry à Bourges, au sein d’une UPE2A, une Unité Pour Elèves Arrivants Allophones. Un an plus tard, il suit un CAP plomberie dans le même établissement. « J’ai appris le français sans m’en rendre compte, sourit-il. A l’école, mais aussi avec mes camarades, sur YouTube... »

Dans la même classe, Aumar Nguatt ne trouve pas l’apprentissage du français si simple ! Arrivé seul, également à 15 ans, originaire du Mali, sa langue maternelle est le peulh. « Le français, c’est dur, surtout pour écrire. Mais je suis là pour apprendre. »

Un accès à l’éducation garanti

Ouverte il y a cinq ans, l’UPE2A du lycée Jean-de-Berry accueille quinze élèves. « En ce moment, uniquement des garçons, mais parfois nous avons quelques filles (1), précise Marie-Pierre Leyrat, la proviseure. Ils viennent d’Afrique, du Bengladesh, du Pakistan, d’Afghanistan... » Agé·e·s de 15 à 18 ans, iels sont arrivé·e·s seul·e·s ou en famille, et ont obtenu l’accès à l’éducation comme le stipule la loi pour tout enfant mineur·e, qu’iel soit français ou non (2). Iels ont passé des tests d’évaluation en lecture, écriture et compréhension orale avant d’être réparti·e·s par le Centre Académique pour la Scolarisation des élèves allophones Nouvellement Arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de Voyageurs (3).

Les élèves Ahmed Hamid Ataher et Aumar Nguatt, avec Céline Trainel, enseignante référente UPE2A.

Combien sont-iels accueilli·e·s dans l'académie ? Et dans le Cher ? Contacté par mail et par téléphone, le CASNAV n'a pas souhaité transmettre ces données.

« Des élèves ultra-motivés »

« Normalement, les élèves sont en UPE2A pour une année scolaire, explique Céline Trainel, enseignante référente de l’unité au lycée Jean-de-Berry. Ils ont douze heures de cours par semaine durant lesquelles ils apprennent le français, les mathématiques et l’anglais. Le reste du temps, ils sont intégrés aux autres classes pour découvrir le sport, les sciences, les ateliers, mais aussi le numérique... c'est important pour les démarches administratives et l’accès à leurs droits, par exemple. »

Une année scolaire suffit-elle à acquérir les bases d’une langue ? « Ça dépend de leur profil. Parfois, il faudrait plus de temps, reconnaît Céline Trainel. Certains ne parlent pas du tout français, d’autres le parlent mais ne sont jamais allés à l’école dans leur pays… Mais il y a des associations à Bourges qui leur donnent des cours supplémentaires le mercredi après-midi. » Citons par exemple le dispositif Cher JeuMina de l’association Tivoli-Initiatives et du foyer Saint-François basés à Bourges, qui proposent un accompagnement spécifique pour les mineur·e·s non accompagné·e·s, en partenariat avec le service départemental de l’Aide Sociale à l’Enfance (4).

Arrivé il y a quelques semaines, Mohamed Bah (à gauche) découvre les ateliers du lycée.

Au lycée Jean-de-Berry, le travail en classe s’effectue surtout en petits groupes ou en individuel. « Ce sont des élèves qui ont vraiment envie d’apprendre, ils nous sollicitent beaucoup, souligne Arnaud Bossis, Conseiller Principal d’Education qui les suit également. Il faudrait un adulte par élève ! Ils ont une autre image de l’école que les jeunes Français : ils la voient comme une vraie chance. »
« Ils aimeraient avoir davantage d’heures de cours, poursuit Céline Trainel, ils sont ultra-motivés. Avec eux, il n’y a pas de problème de discipline ou d’absentéisme. »

Comment faire de cette présence une chance aussi pour les autres élèves ? Comment le lien se tisse-t-il ? « Chaque classe reçoit au moins un membre de l’UPE2A durant l’année, répond Marie-Pierre Leyrat. Et puis, ensemble, ils participent à des projets comme en ce moment, avec le Paris Mozart Orchestra (5). Plusieurs rencontres sont organisées avec l’orchestre. Les élèves travaillent autour du thème d’Athena et en mai, une restitution aura lieu avec l’ensemble des établissements participants. »

L’apprentissage, plus simple pour la régularisation

Après leur année en UPE2A, les jeunes doivent choisir une orientation. La majorité prend le chemin de filières courtes et de l’apprentissage, avoir un métier leur permettant d’être régularisé·e·s plus vite à leur majorité. Beaucoup restent à Jean-de-Berry où iels ont leurs repères.

Ismaël Diallo est en formation de couvreur.

C’est ainsi qu’Ismaël Diallo a poussé la porte de la formation en couverture. Arrivé à 14 ans de Guinée, il ne maîtrisait pas le français mais aujourd’hui, le comprend et le parle correctement. « Ce sont mes amis peulhs qui m’ont convaincu pour cette formation. J’ai aimé direct », assure-t-il. Apprenti dans une entreprise de La Chapelle-Saint-Ursin, il nourrit toutefois d’autres rêves : « Je voudrais ouvrir une salle de musculation et devenir coach sportif. » Il poste déjà des vidéos sur le réseau social Tik Tok. « Ça commence à aller un peu dans ma vie », sourit-il.
Arrivé il y a seulement quelques semaines, de Guinée également, Mohamed Bah découvre aujourd’hui la plomberie. Son temps libre, il le passe « au football, avec le club du Moulon ». Le métier qu’il vise ? « Le transport. » Il sera sans doute obligé de quitter Bourges, la formation la plus proche étant à Issoudun.

« C’est arrivé que certains aillent jusqu’au bac pro voire au bac général mais c’est rare, raconte Céline Trainel. C’est possible, c’est vrai, mais au prix de nombreuses difficultés. »

L’explosion du nombre de jeunes accueilli·e·s

La nouvelle loi Immigration portée par le gouvernement provoquera-t-elle des changements dans les dispositifs de type UPE2A ? « A priori non. L’accueil des mineur·e·s restera obligatoire. Le but ici, c’est qu’ils atteignent le meilleur niveau de français possible à la fin de l’année. »

Actuellement, les établissements scolaires doivent faire face à une autre difficulté : l’augmentation du nombre de jeunes accueilli·e·s. « En cinq ans, sur l’ensemble du département du Cher, leur nombre a été multiplié par quatre, explique Marie-Pierre Leyrat. Nous pouvons augmenter le nombre de places par unité, mais ce sera au détriment de leur prise en charge. A dix-huit élèves pour une enseignante, difficile d’avoir un accueil personnalisé. Donc soit il faut mettre plus de moyens c’est-à-dire plus de profs par unité, soit il faut ouvrir de nouvelles unités. »

Est-ce prévu ? A cette question, le CASNAV n'a pas non plus souhaité apporter de réponse.

Fanny Lancelin

Notes

Plus

Quel accueil pour les mineur·e·s non accompagné·e·s ?

Parmi les élèves scolarisé·e·s en UPE2A, une partie sont appelé·e·s Mineur·e·s Isolé·e·s Etranger·e·s (MIE) ou Mineur·e·s Non Accompagné·e·s (MNA) : iels ont moins de 18 ans et sont arrivé·e·s sans représentant·e·s légaux/les sur le territoire. Selon Unicef - France (6), iels étaient ainsi 24.300 à être pris·e·s en charge au 31 décembre 2022, parmi les 171.100 mineur·e·s accueilli·e·s au titre de l’aide sociale à l’enfance. La plupart ont entre 15 et 18 ans, mais 10 % d’entre elleux ont moins de 15 ans.

En France, leur prise en charge est assurée par les Conseils départementaux, « qui ont l’obligation de leur apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique », rappelle Unicef - France. Au même titre que tous les enfants en danger, iels doivent donc bénéficier d’un hébergement (en foyer, chez un assistant familial, dans des structures spécialisées…), d’un accès à l’éducation, de soins de santé et d’un accompagnement dans leurs démarches administratives.

Pourtant, Unicef - France dénonce des « dysfonctionnements importants dès les premiers contacts des mineurs isolés avec le dispositif de protection de l’enfance qui peuvent perdurer jusqu’à leur sortie de celui-ci ». « La principale rupture dans le parcours de protection intervient souvent lorsque le Département refuse l’admission à l’aide sociale à l’enfance en considérant que le jeune n’est pas mineur. Cette décision exclut ces jeunes de toute forme de protection et les privent de leurs droits fondamentaux : hébergement, accès aux soins, éducation, suivi éducatif et besoins les plus vitaux (alimentation, vêture, hygiène, etc). » Conséquence ? Des jeunes à la rue, parfois pendant des mois, alors que dans la plupart des cas, une fois le juge saisi, iels finissent par être déclaré·e·s mineur·e·s. Mais dans l’attente, iels perdent parfois jusqu’à trois ans avant d’être correctement pris en charge et scolarisé·e·s.

Unicef - France dénonce également « un niveau de prise en charge souvent inférieur (en termes de coût journalier) à celui appliqué pour le reste des enfants confiés ». C’est ainsi qu’en juin 2022, la Cour des comptes pointait du doigt la gestion de l’association Viltaïs basée dans l’Allier, présente à Bourges, et qui a obtenu de nombreux marchés dans la gestion des mineur·e·s isolé·e·s : https://www.ccomptes.fr/system/files/2022-06/AA202231.pdf

Des dispositions sont-elles prévues dans le projet de loi Immigration ? Pas au profit des jeunes, en tout cas. Des sénateur·ice·s avaient déposé des amendements visant à soulager les conseils départementaux de leur mission. Le coût de celle-ci est estimée à 2 milliards d’euros pour 2023, soit 500.000 euros de plus en un an, le nombre de mineur·e·s accueilli·e·s ayant globalement augmenté.
Mais la plupart des amendements ont été retoqués par la commission des finances, l’Etat refusant de prendre en charge des dépenses supplémentaires.

 

  • Lire aussi : « Les Départements ne sont pas au-dessus des lois : les enfants étrangers doivent être protégés ! » daté du 6 décembre 2023, par le Gisti (Groupe d’Information et de SouTien des Immigré·e·s) : https://gisti.org/spip.php?article7145