
A Vierzon, une association s’oppose à l’entrepôt Virtuo
« Les plateformes logistiques poussent comme des champignons ! » A Vierzon, l’expression fait sens car c’est bien à l’endroit même où les habitant.es cueillaient autrefois des champignons, sur une zone humide, qu’est prévu un nouvel immense entrepôt de stockage comme il en pousse désormais partout en Centre Val de Loire. Sur des territoires déjà marqués par les friches industrielles, les projets autoroutiers, les centrales nucléaires, les sites de production d’armement, les champs sans arbres abandonnés à l’agro-industrie… Pourtant, il reste encore tant à sauvegarder ! Les forêts, les sols généreux, les zones humides garantes de la biodiversité, les cours d’eau et, dans les villes et villages, une qualité de vie que plébiscitent des urbain.es en mal d’oxygène et de lien social.
Certes, les plateformes logistiques font miroiter aux élu.es localaux la promesse de création d’emplois, un facteur important pour maintenir et attirer la population sur leurs territoires. Elles représentent aussi une ressource non négligeable pour les collectivités qui perçoivent la taxe foncière. « Conflit éternel entre le développement économique et la protection de l’environnement », résume Jean-Michel Garibal, président de l’association vierzonnaise « Hangars et tout camion, c’est non ! » (1).
Mais, dans un rapport d’information « sur les incidences du déploiement des grands entrepôts logistiques » présenté à la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale en 2023 (2), les député.es Charles Fournier et Sandra Marsaud soulignaient le revers de la médaille : constructions « à blanc » qui alimentent le marché spéculatif ; emplois précaires et pénibles ; développement du e-commerce au détriment des commerces de proximité dans les villages ; augmentation du flux des camions et donc des nuisances et donc désertification desdits villages…
Depuis des années, des habitant.es tentent d’empêcher les chantiers de démarrer. Avec de belles victoires comme en 2023 à Lamotte-Beuvron dans le Loir-et-Cher : face à la mobilisation citoyenne, Idec, promoteur d’un projet de près de 68.000 m² sur un terrain boisé de 16 hectares, a renoncé. A quelques kilomètres, à Mer, le collectif « A bas le béton » multiplie les recours contre d’autres projets, tout comme « Romo Citoyenne » à Romorantin-Lanthenay (lire aussi la rubrique (Re)découvrir).
Et à Vierzon, dans le Cher ? Depuis 2020, l’association « Hangars et tout camion, c’est non ! » milite pour faire annuler le projet « Virtuo ». Pourquoi ? Comment agit-elle ? Quelles chances a-t-elle de voir aboutir ses démarches ?
Un entrepôt de 80.000 m² avec 113 quais
C’est « par hasard », en 2020, que l’élu écologiste Jean-Claude Lechelon (décédé depuis) a appris l’existence du projet « Virtuo » à la fin d’un conseil communautaire. Des entrepôts du même genre fonctionnent déjà à Vierzon : les entreprises Levèque, Combronde, TLM y sont déjà implantées. Un « port sec » (terminal de marchandises provenant de ports maritimes) existe également à l’est de la commune. Le tout générant des flux de camions conséquents.
Jean-Claude Lechelon crée alors un collectif informel transformé plus tard en association, « Hangars et tout camion, c’est non ! », qui compte aujourd’hui une trentaine de personnes actives et environ 300 sympathisant.es. La première réunion se tient sur un rond-point au nord de Vierzon, près du terrain prévu pour le site. « Il y avait des militant.es aguerri.es, issu.es du Parti communiste par exemple (3), mais aussi des habitant.es de toutes sensibilités », se souvient Jean-Michel Garibal, l’actuel président.
Leurs craintes ? « L’installation d’un tel entrepôt sur une zone humide avec des dérogations pour destruction d’espèces protégées est un non-sens compte tenu des évolutions du climat actuel », répond Jean-Michel Garibal. « Virtuo » est prévu sur une zone d’activité conçue il y a une dizaine d’années pour des Petites et Moyennes Entreprises (PME) industrielles ou commerciales. Il s’agirait d’un entrepôt de 80.000 m², avec 113 quais de déchargement, des parkings et des aires de dégagement, pour stocker et faire voyager des produits grand-public. Bien plus vaste qu’une PME ! Pour pouvoir l’accueillir, les élu.es ont dû modifier le Plan Local d’Urbanisme (PLU).
Les opposant.es redoutent aussi le nombre de camions, évalué par le porteur de projet à 600 poids-lourds et 750 véhicules légers par jour. « Ça vient s’ajouter au volume actuel qui envahit la ville et ses abords. Vierzon est déjà un nœud autoroutier et plus personne ne maîtrise le flux des camions. »
Des emplois encore précaires et pénibles
Du côté des emplois, l’association considère qu’ils sont « largement sur-évalués ». Entre 300 et 450, promet la SARL Virtuo Vierzon (4). De plus, leur qualité pose aussi question. Dans leur rapport d’information, Charles Fournier et Sandra Marsaud expliquaient qu’au sein des plateformes logistiques, le travail « se caractérise majoritairement par une forte pénibilité et une forte précarité » avec un recours à l’intérim élevé, des emplois « peu rémunérateurs » et « peu évolutifs pour la majorité qui sont des emplois d’ouvriers ». Iels soulignaient que l’automatisation et la robotisation n’avaient pas réduit significativement la pénibilité au travail : « dans certains cas, elle augmente les cadences et donc le risque de troubles musculo-squelettiques ». Le taux d’accidentologie est élevé alors même qu’il « demeure sous-comptabilisé ».
Jean-Michel Garibal évoque aussi le sort des chauffeur.ses. « La logique de ce secteur, c’est rouler à moindre coût. Les chauffeurs dorment dans leur camion, mangent dedans, évitent les autoroutes… Par exemple, ceux qui viennent d’Espagne sortent à Poitiers puis roulent vers Le Blanc, Salbris, Paris. Ceux qui vont à l’Est sortent à Vierzon et filent vers Auxerre. Même s’ils n’ont pas droit d’être sur certaines routes, ils sont très peu contrôlés et les entreprises préfèrent payer les amendes. »
Des travaux préliminaires réalisés en 2023
En 2021, dans le cadre de la modification du PLU, une enquête publique est lancée. « A l’époque, notre association n’avait pas les épaules assez larges et pas assez de connaissances en urbanisme », regrette Jean-Michel Garibal. Elle rédige tout de même un dossier contradictoire qu’elle présente au commissaire-enquêteur. En vain : le nouveau PLU est adopté. Mais la dynamique citoyenne est lancée. « L’association s’est fait connaître. Nous avons créé un blog, notre page Facebook… Nous avons désormais un local où nous nous réunissons tous les mercredis. »
Du 13 mars au 13 avril 2023, une nouvelle enquête publique a lieu, cette fois pour le permis de construire. « 3.200 pages de dossier et 30 jours pour analyser tout ça ! Beaucoup de travail pour peu de temps, et pour des personnes peu rompues à l’exercice. » Fidèle à la tradition de l’éducation populaire, l’association a organisé des ateliers pour appréhender collectivement les enjeux. Bilan : 378 contributions et 1.600 observations déposées, majoritairement négatives.
« Ce travail de fourmis a été traité par le mépris de la part de Virtuo et des autorités locales », assure le président de l’association. Le permis de construire et l’autorisation d’exploiter ont été publiés par la Ville de Vierzon et la Préfecture du Cher, aussitôt contestés devant la justice par « Hangars et tout camion, c’est non ! » qui a déposé deux recours contentieux. Ceux-ci n’étant toutefois pas suspensifs, des travaux préliminaires ont déjà été menés sur site en novembre 2023. « Les marres de la zone ont été détruites, les chênes coupés, le terrain clôturé. » Aucune autre activité n’a été constatée depuis mais l’association reste vigilante.
Un marché spéculatif et des entrepôts sous-exploités
De quel soutien politique « Hangars et tout camion, c’est non ! » bénéficie-t-elle localement ? Les élu.es sont-iels tous.tes pour le projet « Virtuo » ? « Ceux qui nous ont rejoint sont des dissidents du Parti communiste qui ont quelques grammes d’écologie dans la tête, sourit Jean-Michel Garibal. En conseil municipal, seul.es les élu.es Insoumis s’opposent ouvertement au projet. Les autres pensent « emploi, emploi, emploi » ! Je le comprends parce que ces communes sont abandonnées. A Vierzon autrefois, il y avait des milliers d’emplois industriels qui ont disparu. Mais ces élu.es se mettent le doigt dans l’œil : ce n’est pas un investissement d’avenir. Oui, il y aura peut-être de l’activité mais à quel prix ? »
C’est la question qui a guidé les député.es Charles Fournier et Sandra Marsaud au long de leur enquête parlementaire. Iels notent que le développement de la filière logistique accentue le phénomène d’artificialisation des sols qui fait perdre chaque année à la France entre 200 et 300 km² de terres (soit deux à trois fois la taille de la ville de Paris). La logistique « engendre des incidences négatives pour la protection de la biodiversité, la gestion des eaux pluviales, les terres agricoles et la préservation des paysages », écrivent-iels (2).
Iels soulignent que dans certains cas, les entrepôts XXL ne sont que « des opportunités de placement foncier ». « Des observations de terrain font état d’entrepôts souvent sous-exploités. » Les « constructions à blanc » - c’est-à-dire sans entreprise souhaitant a priori s’y installer - se multiplient. Les espaces devenant rares, les entrepôts se revendent alors avec des plus-values conséquentes. Charles Fournier et Sandra Marsaud ont regretté l’absence de données fiables sur le sujet et plaidé pour la création d’un observatoire qui quantifierait et cartographierait les espaces logistiques, la vacance des cellules, le prix des surfaces, l’artificialisation engendrée pour chaque entrepôt, les emplois réellement associés et les intervenant.es impliqué.es.
Iels souhaitent aussi que soit créé un régime de démantèlement ou de reconversion des entrepôts pour éviter les friches industrielles, et que l’empreinte carbone des bâtis soit réduite via l’analyse du cycle de vie normalement obligatoire depuis le 1er janvier 2022.
Quels modes de consommation voulons-nous ?
Pour les opposant.es aux plateformes logistiques, il n’est pas question de verdir la filière. Mais plutôt, de s’interroger : quels modes de consommation voulons-nous privilégier ? Locaux ? Mondialisés ? Libéralisés ?
En France, le transport est responsable de 15 % des émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques. Couvrir de panneaux solaires 50 % des toits des plateformes logistiques n’y changera rien ! La stratégie nationale « France Logistique 2025 » soutenue par le gouvernement est claire : « faire de la plateforme logistique France une référence mondiale encourageant la dynamique logistique sur tout le territoire » (5). Des cadeaux fiscaux ont été accordés afin d’encourager le développement des entreprises du secteur. Peu importe les problèmes environnementaux qu’il engendre.
Des efforts sur le fret ? Sur le papier, oui : le Plan de relance avait prévu de doubler la part du ferroviaire d’ici à 2030 avec un milliard d’euros d’investissement. Pour l’instant, le fret reste minoritaire : il ne représente que 9 % du transport de marchandises et concerne à 65 % des produits agricoles, et non des produits traités par les plateformes logistiques de Carrefour ou d'Amazon.
A Vierzon, si le projet « Virtuo » voyait le jour, serait-il lié au fret ? « Le site est situé à trois kilomètres de la gare avec 60 mètres de dénivelé environ, explique Jean-Michel Garibal. Il ne sera jamais raccordé au réseau ferré. La seule possibilité serait d’utiliser un transport intermédiaire poids-lourds avec le « port sec » mais dans ce cas, le circuit passerait par le centre-ville de Vierzon. » Il s’interrompt. Observe le énième camion qui passe bruyamment devant nous, installé.es à la terrasse d’un café près du cinéma de Vierzon. Puis sourit avec lassitude.
L’association guette l’issue de ses recours. En attendant, elle poursuit son travail d’enquête et de veille sur le terrain, et renforce son réseau avec d’autres collectifs qui militent pour les mêmes raisons partout en France. Il s’agit bien de renforcer la lutte : les orientations du nouveau gouvernement sont encore floues en matière d’écologie mais les reculs récents sur les dispositions du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) n’augurent rien de bon…
Texte : Fanny Lancelin
Notes
- (1) https://nonaucentrelogistic.wixsite.com/nacl/post/ag-de-l-association-hangars-tout-camion-c-est-non-belle-ann%C3%A9e-2023-on-poursuit-en-2024
- (2) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/incidences_grd_entrepots
- (3) L’histoire de Vierzon est marquée par la présence du Parti communiste qui dirige la ville depuis de nombreuses années.
- (4) Le porteur de projet est la Société Virtuo Industrial Property (holding installée à Paris Bercy) via l’entité qu’elle a créée pour la maîtrise d’œuvre, d’ouvrage et le financement, Virtuo Vierzon SARL : https://www.virtuo-property.com
- (5) https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/DPFranceLogistique2025_240316.pdf
Plus
Vers la fin du Zéro Artificialisation Nette ?
En 2021, la loi Climat et Résilience instaurait un objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) des sols d’ici à 2050. Il s’agit de limiter la consommation de nouveaux espaces, en encourageant par exemple la rénovation plutôt que les constructions neuves pour les logements ou encore la remise en état de friches industrielles.
Mais, face au coût de la construction et sous la pression des élus localaux notamment, une loi adoptée en 2023 « visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux » a permis d’assouplir les règles : allongement de 9 mois du délai pour intégrer ces objectifs dans les documents régionaux ; forfait de 12.500 hectares pouvant être consommés pour des projets d’envergure nationale ou européenne ; garantie à chaque commune de pouvoir consommer au minimum 1 hectare par an jusqu’en 2031 ; exclusion des associations environnementales de la gouvernance régionale qui doit faire des propositions en matière de réduction de la consommation d’espaces…
Le 10 avril 2024, le ministère de la Transition écologique a présenté les 167 projets d’artificialisation qu’il considère d’envergure nationale ou européenne. Y figurent le projet de l’A69, la LGV Bordeaux-Toulouse, les futurs EPR ou encore une mine de lithium dans l’Allier (1). La plupart font l’objet d’oppositions citoyennes fortes.
Dans le Centre, il s’agit d’usines MBDA (entreprise d’armement) à Bourges et la Selle-Saint-Denis ; un centre de réinsertion des Groues (lié au centre pénitentiaire) à Orléans ; le programme Scorpion (Sécurité et Défense nationale) ; et l’usine Elogen (électrolyseurs – hydrogène vert).
(1) https://cartagene.cerema.fr/portal/apps/dashboards/60d056361a1647b7a268a0d8035c23c4