
Benoît Godin, journaliste de l'association Survie : "L'Etat français reste dans un état d'esprit colonial"
Peux-tu te présenter et nous parler de l'association Survie et de ses activités ?
Je suis Benoît Godin. Je suis journaliste et travaille depuis des années notamment sur la Kanaky Nouvelle-Calédonie et sur la lutte indépendantiste de ce territoire français du sud du Pacifique. C'est à ce titre que j'ai rejoint Survie. C'est une association qui, historiquement, est surtout connue pour son travail sur la Françafrique (1), c'est-à-dire ce système de maintien par l'Etat français d'une domination coloniale devenue néocoloniale, sur son ancien empire, le continent africain.
À un moment, à Survie, on s'est dit : on travaille contre le néocolonialisme, mais la France continue à opérer également un colonialisme « à l'ancienne », directement sur un certain nombre de territoires qu'on appelle les territoires d'Outre-mer. C'est donc important qu'en tant qu'association anticoloniale, on aille voir aussi de ce côté-là, qu’on ne reste pas forcément bloqué en Afrique.
Le grand tournant, c'est vraiment après le référendum de 2018. Il est apparu évident pour un certain nombre de militant.es de Survie qu’il y avait une volonté massive du peuple kanak de sortir de la tutelle française, de sortir de cette situation coloniale et qu'il lui fallait davantage de soutien en France hexagonale. Il fallait appuyer ce combat des Kanak ici, au sein même de la puissance occupante. A partir de là, Survie a pris officiellement fait et cause pour la lutte d'indépendance du peuple kanak.
Je suis rentré à Survie à ce moment-là.
Quand on voit ce qui s’est passé en 2024, est-ce qu’on peut penser que c'était prévisible par rapport à ce que justement vous aviez constaté en 2018 et depuis ?
C'était complètement prévisible ! C’est toujours facile de le dire après mais en l'occurrence, on l'a dit et écrit avant (2). Toutes les personnes un petit peu sérieuses qui s'intéressaient à la Kanaky Nouvelle-Calédonie, au ressenti des Kanak dans leur ensemble (même si c’est toujours un peu compliqué de faire des généralités) et à l’évolution politique de ces dernières années, pouvaient tout à fait prévoir qu’on allait dans le mur, que ça allait sûrement avoir des conséquences très graves et que ça pouvait même provoquer l'explosion qu'on a connue.
Plusieurs mois avant, pour ne pas dire des années, on a dit : "Attention, la politique de l'État français, la politique du gouvernement français, la politique d'Emmanuel Macron - parce qu’il faut quand même dire qu’il est particulièrement responsable de ce qui s'est passé - envoie le processus de paix, le processus de décolonisation dans le mur et met les Kanak face à une impasse. Ils ne pourront évidemment pas rester les bras croisés, passifs face à un tel retour de l'ordre colonial".
Les accords de Matignon en 1988 puis ceux de Nouméa en 1998, donnaient un avenir, une porte de sortie pour les Kanak, qui ont subi plus d’un siècle et demi de colonisation. Il y avait enfin l’espoir d'une émancipation. À partir du moment où on stoppait ce processus-là et qu’on disait "c'est fini, maintenant c'est la France, il n'en sera pas autrement", on tuait cet espoir d'une vraie décolonisation qui, pour les Kanak, passe par l'indépendance.
La situation dans laquelle se retrouve la Nouvelle-Calédonie est très grave et dramatique. C’est un territoire qui connaît maintenant une crise politique, mais aussi économique et sociale majeure. Et ça, ça relève vraiment de la responsabilité de l'exécutif macroniste dans son ensemble.
Au moment où est arrivé le premier des trois référendums, en 2018, l'État français et ses allié.es de la droite coloniale sur place ont estimé qu’il n’y avait aucune chance que le territoire puisse devenir indépendant via ces consultations à venir. Ils sont vraiment arrivés en disant : "c'est gagné, le corps électoral est certes gelé, mais il est quand même assez ouvert sur le monde non kanak, donc on va réussir à passer l'obstacle sans encombre". Ils attendaient un raz de marée en faveur du "non" à l'indépendance. Sauf que finalement, le score du premier vote a donné 43 % de "oui" à l’indépendance.
La droite et l’extrême-droite coloniales se sont alors réveillées. Elles ont fait une campagne extrêmement dure pour le deuxième référendum en haussant le ton. Mais, patatras, le deuxième référendum qui a eu lieu en 2020 a marqué une progression spectaculaire du "oui" à l'indépendance passant de 43 à 47 % des voix. Là, il y a eu un vrai vent de panique au sein de cette droite coloniale, mais aussi au plus haut sommet de l'État français, qui n'a jamais eu l'intention de lâcher la Nouvelle-Calédonie.
Depuis, on assiste à une véritable contre-offensive de l'État, évidemment soutenu localement par les anti-indépendantistes : ça va commencer par le sabordage du dernier référendum. Ils sont obligés de le faire parce qu'il y a les accords de Nouméa. Mais en allant beaucoup plus vite que ce qu'ils avaient promis et en le maintenant alors que le territoire est en pleine pandémie de Covid, alors même que le monde kanak, très fortement impacté, est en deuil.
Emmanuel Macron et son premier ministre de l'époque, Jean Castex, vont multiplier les déclarations en faveur du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France. Surtout, ils vont tout faire pour empêcher tout débat constructif sur ce qu’il pourrait advenir en cas de "oui" à l’indépendance, sur une transition qui pourrait suivre, faite en bonne intelligence avec la France. Les indépendantistes vont boycotter ce dernier scrutin, qui va se faire du coup quasiment sans le peuple autochtone. L’État et les anti-indépendantistes vont faire comme si tout ça était parfaitement normal, parfaitement démocratique et ils vont dire : "Les référendums sont passés ! Maintenant, c’est fini, c'est la France !".
L'an dernier, il y avait un enjeu majeur autour de la loi sur le dégel du corps électoral. Ce gel du corps électoral était une manière de contrer les effets de plus d’un siècle et demi de colonisation de peuplement (3). Dans l'ancien empire français, il n’ y a eu que deux colonies de peuplement : l'Algérie, indépendante depuis 1962, et la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Les Kanak ont fini par être noyés dans la masse de nouveaux arrivants et se sont retrouvés minoritaires sur leurs propres terres. C’est le coeur du problème, car s'ils étaient majoritaires, la Kanaky Nouvelle-Calédonie serait indépendante depuis très longtemps ! A chaque fois qu'on a demandé aux Kanak de s'exprimer sur l'indépendance, ils ont dit oui à plus de 80 %.
L’idée de ce gel du corps électoral est donc une revendication indépendantiste ancienne et cruciale. Mais cela dit aussi que les Kanak sont prêts à construire le pays avec les personnes, les familles installées là depuis longtemps, qui sont calédoniennes parfois depuis plusieurs générations. Selon le droit international, les Kanak, en tant que premier occupant de l’archipel, en tant que peuple colonisé, est le seul détenteur du droit à l’autodétermination. Mais les indépendantistes kanak ont accepté de partager ce droit avec les autres communautés. Ce ne sont pas du tout des personnes sectaires, qui voudraient jeter les Européens ou les autres à la mer.
Le gel électoral est un élément essentiel du contrat social calédonien. C'est ce qui a permis d'avoir les années de paix après la décennie sanglante des années 1980. C'est ce qui permettait la possibilité de ce qu'on a appelé un destin commun. Entre Kanak et non Kanak, entre personnes qui vont partager le même territoire et se dirigent vers un pays souverain ensemble. Or, l’offre très généreuse des Kanak a été utilisée par les anti-indépendantistes et par l'État français contre eux, pour les empêcher de créer le pays qu’ils appellent de leurs vœux.
Dégeler revenait à officialiser encore plus que par le passé cette colonisation de peuplement, parce que pendant ces années de paix, la Nouvelle-Calédonie a continué évidemment à recevoir des nouveaux habitants et pour beaucoup des "métropolitains".
C'était vraiment une déclaration de guerre : les Kanak ne pouvaient pas l'accepter, parce qu’ils risquaient de perdre tout contrôle sur leur avenir. Il y a eu des mois et des mois de mobilisation pacifique, mais l’État et Emmanuel Macron n’ont rien entendu. Le Sénat a voté le dégel du corps électoral, l’Assemblée aussi. Et la jeunesse urbaine de Nouméa s'est révoltée.
Qu'est-ce qui fait que Macron, et à travers lui l'État français, tient autant à la Kanaky Nouvelle-Calédonie? Ce n’est sûrement pas uniquement pour les métropolitain.es qui vivent là-bas. Y a-t-il des intérêts pour l'État directement ?
Il y a vraiment - et je pense qu'il ne faut pas le minimiser - un certain atavisme colonial au sein de l'État français. C'est-à-dire que l'État français reste fondamentalement, profondément, dans sa structure mais aussi pour la majorité des personnes qui l'animent, dans un état d'esprit colonial. Pour ces gens-là, la grandeur de la France passe par le maintien de ce qu'il reste de l'Empire colonial.(4) On ne parle plus d’Empire colonial, on parle de territoires d'Outre-Mer, mais la filiation est directe. L'ancien ministère des colonies est devenu le ministère des Outre-mer. Il y a une aberration à parler de la France pour un territoire qui se situe littéralement aux antipodes de la France. Il faut voir le délire mégalomaniaque que cela représente de conserver coûte que coûte un territoire qui est situé à l'opposé de nous sur le globe !
Évidemment, il y a aussi des intérêts stratégiques, diplomatiques, économiques, militaires. Pour les intérêts économiques, c'est peut-être un peu moins vrai aujourd'hui parce qu’effectivement, une des grandes richesses de la Nouvelle-Calédonie a été le nickel. On n’est pas loin d’un quart des réserves du nickel mondial (5). Or, le secteur du nickel traverse une crise mondiale actuellement et c'est une des raisons de la crise économique que vit la Nouvelle-Calédonie.
Mais il y a par exemple l’avantage pour la France d’avoir une Zone Economique Exclusive (ZEE) colossale. Avec ces deux territoires que sont la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, la France a la deuxième ZEE, c’est-à-dire le deuxième espace maritime mondial, juste derrière les États-Unis. Le jour où la France se lancera dans l'exploitation des ressources sous-marines, elle aura des territoires immenses à exploiter.
C'est évidemment aussi un jeu diplomatique.
C'est ce qui fait que la France, avec cette zone, siège avec poids dans un certain nombre d'instances internationales : ça la fait exister dans une zone du monde qui est plutôt dominée par les Anglo-Saxons (États-Unis, Australie) ou par la Chine ou l’Indonésie. ça lui permet donc d'exister d'un point de vue stratégique, diplomatique et même militaire.
Suite au remaniement du gouvernement fin 2024, un ministère d’Etat a été donné aux Outre-Mer et c’est Manuel Valls qui a été nommé, lui qui avait travaillé sur les accords de Nouméa. Comment avez-vous reçu ces informations ?
À Survie, on a vu arriver Manuel Valls avec une certaine méfiance, parce que l’on se souvient de son passage au ministère de l’Intérieur, de son passage comme premier ministre. C'est quelqu'un qui est capable de défendre des positions coloniales assez fortes. On savait que ce personnage là n’était pas un allié de nos combats.
Mais, contrairement à Emmanuel Macron et à beaucoup de personnes qui composent la majorité macroniste, Manuel Valls vient d’un des anciens partis de gouvernement et il a une mémoire du dossier calédonien.
Les grands partis traditionnels qui aujourd'hui ont périclité (le PS ou le RPR devenu Les républicains), étaient relativement prudents sur le dossier calédonien, parce qu’en leur temps, chacun à leur tour, ils s’y étaient brûlé les ailes. Manuel Valls, qui a travaillé avec Michel Rocard, sait donc que c'est compliqué. Il est arrivé après le retour des troubles de 2024, avec beaucoup moins de morgue que les précédents gouvernements d'Emmanuel Macron, et notamment que Lecornu et Darmanin.
Il est arrivé avec une volonté affichée d’achever enfin la décolonisation du territoire et en proposant un projet d’indépendance-association qui aurait pu être une vraie avancée et que les indépendantistes étaient prêts à accepter. Mais la frange la plus dure des anti-indépendantistes l’a rejeté en bloc… Et ce d’autant plus que Valls, on le sait maintenant, n’a pas été soutenu dans son projet par l’ensemble de l’exécutif, loin s’en faut.
N’oublions pas qu’il est au sein d'un gouvernement dans lequel on retrouve un certain nombre d'acteurs majeurs de cette contre-offensive coloniale en Kanaky Nouvelle-Calédonie. Notamment Sébastien Lecornu qui a été ministre des Outre-mer sur la fin du premier mandat de Macron et donc responsable du passage en force sur le dernier des trois référendums. Lui, il est actuellement aux Armées. Darmanin, qui s’est retrouvé ministre de l'Intérieur a aussi eu le porte-feuille des Outre-Mer et a porté le projet de dégel du corps électoral. Lui est maintenant à la Justice. Le président de la République, c'est toujours Emmanuel Macron, qui n’a exprimé aucun mea culpa sur sa gestion désastreuse, et même criminelle, du dossier calédonien.
On sait aussi que ce gouvernement ne tient qu’avec le soutien des députés d’extrême droite, qui ne sont évidemment pas des alliés des Kanak et des anticolonialistes que nous sommes.
Bref, la marge de manœuvre de Valls était particulièrement réduite, voire inexistante, et les discussions n’ont abouti à rien, une fois de plus.
Mais c’est bien l’État français qui a colonisé la Kanaky Nouvelle-Calédonie, c’est lui qui a remis le feu aux poudres l’an dernier, et c’est donc à lui d’endosser désormais une réelle volonté de décoloniser le territoire, sans se cacher derrière le refus de toute avancée dans ce sens de la part de la droite et de l’extrême-droite coloniale sur place. On en est, hélas, encore loin !
Surtout que des centaines de Kanak restent emprisonnés parce qu'ils se sont soulevés l’an dernier contre l’ordre colonial. Dont sept responsables de la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain), accusés d’être les "commanditaires" du soulèvement de l’an dernier et déportés en France en juin 2024. Tous sont encore aujourd’hui bloqués ici, et cinq restent incarcérés. Parmi eux, Christian Tein, président du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), toujours à l’isolement à la prison de Mulhouse-Lutterbach. Il s’agit clairement de prisonniers politiques. Le collectif Solidarité Kanaky réclame leur libération et l’arrêt des poursuites à leur encontre.
Il ne faut pas non plus oublier la situation de plusieurs dizaines de prisonniers kanak dits « de droit commun », eux aussi déportés dans l’Hexagone contre leur gré. Eux aussi subissent un exil forcé scandaleux. (6)
Ces questions sont complexes. Nous, on voit ça de l'Hexagone. Comment dirais-tu qu'elles sont traitées en France par les médias et également par les partis politiques traditionnels et quels sont les moyens pour les lecteur.ices de trouver les meilleures sources d'informations ?
Effectivement, la majorité des médias de masse et les partis traditionnels traitent très mal le sujet néo-calédonien, mais en réalité, on pourrait dire tous les sujets des colonies d'Outre-mer. La Kanaky Nouvelle-Calédonie, c'est une réalité politique, culturelle et géographique qui, à tout point de vue, est très éloignée de nous. On peut comprendre que les gens aient du mal à s'intéresser à cette question.
Encore plus quand les médias se souviennent que c'est la France seulement de manière très épisodique et en réalité, souvent quand ça explose sur place. Ils "ont évoqué" un petit peu le dossier calédonien au moment où il y a eu les projets de loi sur le dégel du corps électoral, mais ça n'a vraiment pas fait la Une. Il a fallu attendre que les révoltes démarrent, qu’il y ait des destructions, des blessés et même des morts. Dès que ça se calme à nouveau, on n’en parle plus. Or, on a besoin de temps, d'analyses un peu fines, on a besoin de suivre les choses au long cours.
Si on veut se renseigner correctement, il y a heureusement des médias qui font un peu plus le travail que d'autres. Je pense notamment à Mediapart qui traite le sujet calédonien avec sérieux et constance.
Sinon, il faut aller voir du côté des sites militants, comme celui de Survie. On essaie, y compris quand il n'y a pas une actualité brûlante, de tenir régulièrement informés les lecteurs de ce qui se passe en Kanaky Nouvelle-Calédonie. Nous faisons aussi partie du collectif Solidarité Kanaky, qui regroupe des individus, des syndicats, des organisations politiques et des associations qui soutiennent le combat indépendantiste, le combat du peuple kanak. Le mouvement indépendantiste kanak lui-même est très présent sur les réseaux sociaux. Notamment le FLNKS qui regroupe la majorité des structures indépendantistes. Aussi, du côté de la CCAT, qui n’est pas un parti politique, qui est un outil militant mis en place pour regrouper tout le monde dans la mobilisation contre le projet du dégel du corps électoral. Il a été mis en place fin 2023 et a fait la Une des médias au moment du soulèvement de mai 2024.
D'ailleurs, voilà un très bon exemple d'un très mauvais traitement, médiatique et politique : la CCAT a été présentée comme une organisation mafieuse, terroriste. Darmanin nous a fait le coup des gentils indépendantistes contre les mauvais. En réalité, ce n’était qu’un outil de mobilisation pour que les gens aussi bien encartés dans des partis politiques ou syndiqués mais aussi tous ceux qui ne sont pas dans les structures puissent se retrouver et se mobiliser dans la lutte contre le dégel du corps électoral.
Dans le milieu militant, lors des années 1970, les luttes anticoloniales et internationalistes prenaient une place importante et ça a diminué les décennies suivantes. Ce sont des sujets qui mobilisent très peu actuellement avec peut-être un retour ces dernières années. Comment vois-tu cela ?
Oui, c'est vrai qu’on a l'impression qu'à un moment, la question coloniale a perdu la place assez centrale qu'elle avait dans le monde militant de gauche, ou disons progressiste. Ça n'aide pas le combat indépendantiste kanak.
L'indépendantisme kanak a émergé tardivement, bien après les grands mouvements indépendantistes ailleurs dans le monde, et même après les indépendances de la plupart des territoires asiatiques et africains. La revendication indépendantiste kanak ne s'est faite jour qu’au tournant des années 1970. Donc, elle n’a pas bénéficié autant du large mouvement anticolonial mondial qui a pu précédemment accompagner les luttes de libération à travers le monde.
En tant que militant de Survie, j’ai tendance à penser que l'anticolonialisme est souvent le grand oublié des combats intersectionnels, alors même que l’esprit colonial reste en réalité très présent dans la société française. Ce qui explique en partie la montée de l'autoritarisme et de l'extrême droite. La France a un passé, mais aussi une actualité coloniale.
Est-ce qu'il y a un retour de la question anticoloniale dans les milieux militants aujourd'hui ? Oui, j'ai l'impression qu'effectivement il y a un certain nombre de personnes concernées par ces questions coloniales et néocoloniales, notamment de personnes racisées, qui essaient de faire monter un nouveau discours sur le sujet. Mais c'est encore insuffisant, il faudrait que ça dépasse ces cercles-là.
Chacun, à la place qui est la sienne, peut faire entendre une voix anticoloniale. Par exemple, les Kanak mènent leurs combats pour leur émancipation, mais ce n'est pas prendre leur place que de dire qu'on est pour l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Nous, nous sommes des militants anticoloniaux et on ne veut pas vivre dans un Etat qui maintient une tutelle coloniale que ce soit en Nouvelle-Calédonie ou ailleurs. Évidemment, c'est pas à nous de décider ce que doivent devenir les territoires aujourd'hui sous tutelle française, c'est aux personnes qui les habitent de le décider, et aux peuples colonisés en premier lieu. Mais par contre, à nous d’être là pour tenir un front anticolonial au sein de la puissance coloniale. C'est vital en fait !
La Nouvelle-Calédonie , c'est un territoire de 270 000 personnes. Les Kanak sont un peu plus de 110 000, ce qui est très peu. Est-ce qu’on pense vraiment que les Kanak tout seuls peuvent faire plier l'État français ? Ça paraît quand même compliqué. Ils mènent un combat courageux, assidu, constant depuis des décennies. C'est tout à fait admirable mais à un moment, ils ont besoin d'un soutien international, et plus particulièrement ici, au sein même du pays colonisateur.
Pour revenir à Survie, quel est le profil de votre équipe ? Vous êtes des militants, des journalistes ?
Il y a des personnes qui sont simplement adhérentes parce qu’elles soutiennent et qu'on voit de loin ; il y a des militants actifs aussi qui font vivre les groupes locaux et la structure nationale. Dans celle-ci il y a des gens de tous horizons : des journalistes comme moi, des chercheurs, mais il y a aussi des personnes qui ne sont pas du tout dans ces professions. C'est ouvert à toutes et tous, et chacun-e peut venir apporter son énergie.
Récemment, vous avez changé le sous-titre de votre revue Billet d’Afrique pour l'appeler journal anticolonial. Comment cela est-il venu ?
Jusqu’à peu son sous-titre était "mensuel d’informations sur la Françafrique". C'était un petit peu compliqué de maintenir ça, alors qu'on a des pages entières sur les territoires dits d’Outre-mer. Donc, on a changé il n'y a pas longtemps pour parler d’un journal anticolonial en général et c'est ce qu'on est. Notre angle d'attaque, c’est combattre le colonialisme et le néocolonialisme qui est porté par l'État français, sous toutes ses formes !
Propos recueillis par David
A lire aussi : les articles consacrés à la Kanaky- Nouvelle Calédonie sur le site de Survie (7) et en particulier le dossier d’avril sur les prisonniers politiques actuellement détenus dans l’Hexagone (8).
Retrouvez le site de Billets d'Afrique ici : https://survie.org/billets-d-afrique/
Notes
- (1) Françafrique est un terme créé par Francois-Xavier Verschave membre fondateur de Survie dans les années 90 : https://survie.org/auteur/francois-xavier-verschave
- (2) https://survie.org/billets-d-afrique/2024/336-mai-2024/article/le-degel-du-corps-electoral-pret-a-enflammer-la-kanaky-nouvelle-caledonie
- (3) Pour les notions de dégel électoral et de colonisation/politique de peuplement, voir notre article : https://www.rebonds.net/webzine/redecouvrir/Itineraires-d-une-colonisation-qui-s-eternise-540/
- (4) "La France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie", E.Macron mai 2018 et juillet 2021 : https://www.linfo.re/france/societe/emmanuel-macron-la-france-serait-moins-belle-sans-la-nouvelle-caledonie
- (5) https://www.rts.ch/info/monde/2024/article/le-nickel-un-minerai-essentiel-au-coeur-de-la-crise-en-nouvelle-caledonie-28510495.html
- (6) https://www.mediapart.fr/journal/france/170525/nouvelle-caledonie-le-calva