Yassine El Azibi : « Si on met les moyens, il se passera des choses intéressantes ici »
Je m’appelle Yassine. J’ai 19 ans. Je suis né au Moulon et aujourd’hui, j’habite à La Chancellerie.
Je suis issu de l’immigration par mon père et français par ma mère. Même si j’ai été élevé principalement « à la française » on va dire, j’ai aussi en moi l’aspect oriental. Quand j’étais petit, on allait toujours en vacances en Tunisie. J’ai une double culture. Je suis plutôt à l’aise avec ce « mix ».
Je crois en Dieu. Je fréquente la mosquée, mais très rarement.
J’ai un ami prêtre, Père Michel, qui officie dans les églises de La Chancellerie et des Gibjoncs.
En fait, j’ai des liens avec des Musulmans mais aussi des Chrétiens.
Je viens d’avoir mon bac et je suis en BUT Carrières Sociales à l’IUT de Bourges. Pour quelle profession ? Je ne sais pas encore…
Je suis militant indépendant. Ça veut dire que… je suis militant associatif depuis 6-7 ans. Si j’avais à définir ce que signifie militer ? Je dirais plaider pour une cause, pour une vie meilleure.
J’ai fait partie de l’association El Qantara, j’ai aussi été au Centre associatif. J'adhère au Réseau d'Echanges Réciproques de Savoirs (RERS) de Bourges et je suis bénévole dans une association nationale de préservation de la mémoire des déporté.e.s de la Seconde Guerre mondiale. Elle a été créée par un jeune passionné d’histoire, comme moi ! Ça va me permettre de faire de la recherche.
« Il y a beaucoup de choses positives mais on ne les montre pas assez »
Ce que j’aime dans le quartier, c’est l’ambiance chaleureuse, très conviviale. C’est aussi la diversité : il y a une pluralité de personnes qui vivent ensemble ici, de cultures très différentes.
Ce que je n’aime pas, c’est l’aspect « insécurité » qui est très pesant. Ça salit un peu l’image des quartiers, ceux qu’on définit comme les « quartiers prioritaires de la Ville ». Ça donne aussi une image dégradante des jeunes, qu’on appelle les jeunes « de banlieue », qui soit-disant mettent le bordel. Alors qu’en réalité, il y a beaucoup de choses positives ici mais on ne le montre pas assez.
Je ne m’ennuie pas. Il y a beaucoup d’activités au quartier.
Ce qu’il y manque ? Le nombre d’associations diminue.
Il faudrait aussi créer des antennes de la Maison de la Culture ou du Conservatoire, pour que tout le monde ait accès aux pratiques artistiques. Un peu comme les mairies annexes.
Le Hublot (1) a été créé ici mais il est utilisé quelques fois par an seulement. Il y a du super matériel, des salles de répétition, une grande salle de spectacle mais ça n’est pas utilisé pour les habitant.es. J’avais demandé pourquoi à l’élu à la Culture. Il m’avait répondu que c’était un problème de nombre de techniciens et de budget. En fait, j’ai l’impression que tout ça, ce sont des prétextes. On pourrait former les jeunes d’ici aux métiers de technicien, d’ingénieur du son…
Aujourd’hui, les élu.e.s n’écoutent pas assez les habitants.
« Les transfuges de classe, ça existe ! »
Si je devais noter mon quartier entre 1 et 10, je mettrais 6 ou 7. Même s’il a des qualités, il manque de services publics et culturels. S’il y en avait plus, la note augmenterait.
Je suis quand même plutôt optimiste : si on met les moyens, l’argent nécessaire, il se passera des choses intéressantes ici.
Il ne faut pas trop écouter la société, sinon on reproduit les mêmes erreurs qu’on a déjà faites par le passé. Penser par soi-même, c’est important. Pour l’école, c’est pareil. On a l’impression qu’on est enfermé dès la 3e dans notre classe sociale ou notre communauté. Si on vient des quartiers prioritaires, on croit qu’on ne fera rien dans la vie. Les personnels de l’Education nationale nous cataloguent selon d’où on vient.
C’est quelque chose que j’ai vécu : on a voulu me mettre en bac pro d’office alors que j’ai réussi à avoir mon bac général. Je n’ai rien contre la voie professionnelle : il faut bien former des gens à des métiers comme peintre en bâtiment… Mais moi, ce n’est pas la voie que je voulais prendre.
Il existe des lignes, des chemins improbables. Les transfuges de classe, ça existe !
Pour réussir, je fais confiance à ma famille, mes ami.e.s, les associations de quartier et... moi-même aussi ! C’est un mélange des quatre.
J’ai été soutenu par des personnes comme Jean-Michel et Omar, membres de El Qantara. Avec mes parents et ma prof d’histoire, ils m’ont beaucoup aidé à avoir confiance en moi.
« Créer des référendums citoyens »
Pour que les habitants puissent donner davantage leur avis, il faudrait créer des référendums citoyens et faire des sondages. Ça permettrait de recueillir la parole des habitants. Si on voulait présenter un projet ou parler d’un problème aux élu.e.s, on pourrait s’appuyer sur ces enquêtes : « regardez, il y a 70 % des habitants qui pensent ça », par exemple.
On pourrait aussi faire des vidéos de quelques minutes, avec des témoignages d’habitants. Ça donnerait des idées aux élu.e.s.
Par exemple, le Hameau de la Fraternité qui est voué à la démolition. Aujourd’hui, les habitants ne sont pas vraiment informé.es. de ce projet. Moi, en tant que militant engagé, j’ai dû un peu forcer la main pour participer à la réunion qui traitait de ce qu’il y aura après le Hameau. C’est dommage parce que c’est un pôle central au sein du quartier. Quand je vois que les habitants ne sont pas informé.e.s, ça me fait un peu bizarre. Ils vont voir le Hameau rasé et ils ne vont pas savoir pourquoi.
Et c’est un exemple parmi tant d’autres.
« La jeunesse des cités ne va pas tarder à éclore »
Pour moi, la « jeunesse des cités » ne va tarder à éclore. Ce n'est qu'une question de mois. Dans quelques semaines, en mars 2026, il y aura les [élections] municipales. Et en mai 2027, les présidentielles. Ce sont des événements clés qui permettront aux jeunes de s’émanciper et de faire entendre leur voix. Il est plus que nécessaire qu’ils le fassent.
Après, il y a la question du trafic de drogue. J’ai posé une hypothèse en analysant les jeunes dans ce milieu, le contexte actuel en France et à Bourges. Ce n'est que mon interprétation mais pour moi, le fait que les pouvoirs locaux n'initient pas les jeunes de ces quartiers à la pratique artistique, à la « chose culturelle », engendre une non représentation des jeunes, sur les scènes de théâtre ou de musique comme le Hublot. Conséquence : ces jeunes ne sont pas visibles aux yeux des autres populations à Bourges (ou ailleurs). Pour combler ce « vide », les jeunes cherchent à se valoriser. C’est là que le trafic de drogue intervient. Pour moi, le fait que de plus en plus de jeunes rentrent dans la délinquance et le trafic de drogue permet de combler ce vide.
Comment y remédier ? Par la médiation et une augmentation de la prévention. Par le développement de structures ou d'institutions culturelles permettant le développement de la pratique artistique et culturelle dans les quartiers prioritaires de la Ville. Et ce, tout au long de l'enfance et de l'adolescence.
Le Hublot, pour moi, est un échec car trop peu d’actions s’y déroulent dans l’année. Hormis les cours réguliers de la classe CHAM [Classe Horaires Aménagés Musique] du collège Victor-Hugo, rien ne s’y déroule vraiment.
« Si j'étais élu maire... »
La première action concrète que les élus locaux pourraient faire, c’est de créer un Conseil Municipal de Jeunes (à rayonnement communal) qui représenterait les jeunes des quartiers et les jeunes du centre-ville, de tous les horizons possibles. Ils pourraient échanger sur des problématiques.
Ensuite, rétablir le dialogue entre les élu.e.s et les jeunes de ces quartiers : le maire de Bourges ainsi que son adjoint pourraient aller aux principaux lieux de rassemblement des jeunes afin de parler de leurs besoins. Principaux lieux tels que le City Stade, le PRJ, et pourquoi pas jusque dans le points de « deal » afin de rétablir un dialogue et faire de la prévention.
Et troisièmement, organiser des conférences de presse ouvertes aux habitants où le maire, pendant deux heures, pourrait répondre en face à face à leurs questions.
Si je suis élu maire de Bourges, ce serait la première mesure que je mettrais en place. Pourquoi ? Parce que c’est à partir de cela que toute ma politique en faveur des quartiers pourrait être développée lors de ma mandature. Je crois que ce serait la meilleure solution.
Propos recueillis par Christelle et Fanny
Notes
Plus
Jean-Louis et Christelle, membres de l'équipe de (Re)bondissons, ont distribué des questionnaires à des jeunes du quartier qui fréquentent le PRJ (Point Rencontre Jeunes) de la Chancellerie à Bourges. Dix-sept d'entre elleux ont accepté d'y répondre, dont Yassine (lire ci-dessus). Il s'agissait de les interroger sur ce qu'iels aiment dans leur quartier, ce qu'iels n'aiment pas, ce qui leur manque, mais aussi sur la manière dont iels envisagent leur avenir et à qui iels font confiance pour parvenir à réaliser leurs rêves.
Les jeunes interrogé.e.s étaient âgé.e.s de 15 à 21 ans. Douze étaient scolarisé.e.s au lycée, trois étaient étudiantes et deux étaient demandeurs d'emploi.
La note moyenne globale qu'iels ont attribué à leur quartier est de 6/10.
Pour elleux, ce qui manque, ce sont des aménagements de loisirs (aires de jeux, city stade...), des animations en rapport avec les associations et des occasions d'échanger avec les élu.e.s.
S'iels restent optimistes quant à leur avenir, iels se disent plutôt pessimistes sur l'avenir de leur quartier sans pouvoir toutefois préciser pourquoi.
Quand on évoque ce qui constitue pour elleux des critères de réussite, iels citent majoritairement l'exercice d'un métier choisi et rémunérateur. Iels font davantage confiance à l'école qu'à la société en général pour les aider à préparer leur avenir, mais c'est vers la famille et leurs proches qu'iels se tournent en premier, avant de solliciter quelconque aide "extérieure".