« Défaire le pouvoir sexiste dans les médias », Rose Lamy

Rose Lamy a d’abord travaillé dans la production musicale, puis dans la communication, notamment de crise. C’est à cette occasion qu’elle a réalisé à quel point, en cas « d’affaires », les mots sont particulièrement choisis. « Les mots qu’on décide de lancer dans l’espace public à un haut niveau d’influence ne sont jamais laissés au hasard, écrit-elle. Il n’y a pas de « dérapage », seulement des calculs et des stratégies qui fabriquent l’opinion (…). J’ai progressivement réalisé que le discours médiatique contre les femmes n’était ni accidentel ni anecdotique. Et qu’il était temps de l’exposer pour le défaire. »

C’est ainsi qu’en mars 2019, elle crée une page Instagram intitulée « Préparez-vous pour la bagarre », qui compte aujourd’hui 220.000 abonné·e·s. Elle y recense les discours sexistes à l’œuvre dans les médias, de France Inter à Cnews en passant par LCI, France Info, Le Parisien mais aussi la presse régionale. Un travail méticuleux qu’elle a effectué pendant trois ans, avant d’écrire ce livre : « Défaire le discours sexiste dans les médias » (publié aux éditions Jean-Claude Lattès en 2021).

Son but ? Montrer qu’aujourd’hui encore, alors qu’ils devraient « faire véritablement progresser l’égalité entre les femmes et les hommes », la majorité des médias contribuent trop souvent à véhiculer des discours discriminants, et des postures qui minimisent les violences sexistes et sexuelles. Pour cela, Rose Lamy part toujours de cas concrets : les affaires Bertrand Cantat, Dominique Strauss-Kahn, Gabriel Matzneff, Tariq Ramadan ou les plaintes visant Gérald Darmanin et Roman Polanski, par exemple. A travers le traitement médiatique de ces affaires, elle met à jour des mécanismes systémiques, c’est-à-dire qui ne sont pas le fait d’individus isolés, mais bien d’un système qui s’auto-alimente et se défend lorsqu’il est attaqué : celui des hommes cisgenres, généralement blancs et issus d’une certaine classe sociale, culturelle, politique, médiatique, qui ne veulent pas remettre en cause leur position de dominants et de privilégiés.

Pourquoi les femmes qui osent porter plainte contre leurs agresseurs sont-elles toujours suspectées de mensonge dans les médias, « présumées victimes », quand les hommes sont toujours présentés comme « présumés innocents » (et non potentiellement coupables) ? Comment le choix des termes insinue encore trop souvent que les femmes violentées doivent l’avoir cherché et remettent ainsi en cause leur comportement plutôt que celui des hommes ? Pourquoi les violences sexistes et sexuelles sont majoritairement considérées comme relevant de la sphère privée (une triste particularité française) et donc, n’étant pas ou peu révélées publiquement ? Comment, lorsqu’il se sent attaqué, le système patriarcal fait diversion en accusant le néoféminisme de tous les maux ?

Rose Lamy n’est pas journaliste et c’est ce qui rend son travail particulièrement intéressant et précieux : elle ne raconte pas ce qui se passe à l’intérieur des rédactions ; elle analyse ce à quoi les lecteur·ice·s sont exposé·e·s tous les jours et qui leur est présenté comme une réalité, une vérité.

Si des journalistes sont régulièrement cités, ce n’est pas aux personnes qu’elle s’attache (et pourtant, il y aurait vraiment de quoi en exclure quelques-unes voire en traduire certaines en justice étant donné leurs propos !) mais à tous les rouages d’une mécanique bien huilée dans laquelle quelques grains de sable comme son ouvrage sont décidément les bienvenus.

F.L.

[Photo : le Centre de la presse, mars 2022]

Plus