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L’écologie, grande absente de la campagne

5 juillet - 15 août 2024
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C’est un thème qui devrait être transpartisan, tellement l’urgence climatique impose des mesures sociétales fortes : l’écologie est la grande absente de la campagne des élections législatives. Pourtant, 105 candidat·e·s du parti Les Ecologistes et apparenté·e·s avaient été investi·e·s pour le Nouveau Front Populaire au premier tour. Comment les militant·e·s de terrain expliquent-iels cette absence d’un sujet pourtant vital ? De quoi auraient-iels aimé débattre ?
Mise à jour le lundi 8 juillet 2024

Robert Mileta le dit lui-même : il est d’un tempérament optimiste et combatif. Pourtant, quelques heures après l’annonce des résultats du premier tour des élections législatives, le référent du parti Les Ecologistes pour le Cher-Nord se sentait « blessé et accablé par l’état de notre démocratie ». « Mais les citoyens et citoyennes se sont mobilisé·e·s », se reprenait-il aussitôt, se disant même fier du score de certaines communes comme Morogues qui a placé le Nouveau Front Populaire en tête avec 45,88 % des voix pour Hugo Lefelle (1).

A chacune de ses réponses, transparaît de l’espoir. L’arrivée imminente du Rassemblement National au pouvoir ? Il a déclenché « un sursaut qui a permis de dépasser les clivages » et de rassembler les forces de gauche. « Sur le terrain en local, les équipes se sont unies, souligne-t-il. Nous avons appris à mieux nous connaître, entre générations et aussi entre urbains et ruraux. » Comment prolonger cette union de circonstance contre un ennemi commun ? Comment ne pas reproduire le scénario de la NUPES (2) ? « Ça va perdurer parce que nous allons avoir besoin de nous serrer les coudes. Beaucoup de bonnes idées émergent, par exemple le parlement de la circonscription qu’Hugo Lefelle a proposé. Il faut aller voir ce qui fonctionne déjà notamment dans la ruralité, et l'adapter aux autres territoires. Et si le RN devait avoir une majorité, il faudra faire naître des contre-projets. »

Les Ecologistes, trait d’union de la gauche ?

Alors que les thématiques de l’écologie ont été absentes de cette campagne, Robert Mileta assure que « dans cette unité de la gauche, Les Ecologistes ont une position centrale ». « Nous pouvons créer des ponts entre tous les mouvements. » Depuis quelques années, le parti s’inscrit systématiquement dans les luttes sociales. Ces derniers jours, Marine Tondelier, secrétaire nationale depuis 2022, s’impose dans les médias comme « le trait d’union » de la gauche (3). Plus question de ne parler « que » de défense de l’environnement, mais bien d’un modèle social qui doit être adapté aux conséquences du changement climatique, les classes les plus pauvres étant les premières impactées.

« Nous voyons bien que tout le vivant est maltraité », explique Robert Mileta. Au niveau local, par exemple, Les Ecologistes se battent contre des projets de plateformes logistiques comme celui en cours à Vierzon. Il impactera la vie des habitant·e·s par la disparition d’une zone humide et par l’augmentation du flux des camions, mais aussi parce que le type d’emplois proposés via la logistique – des emplois précaires, pénibles – dit beaucoup du modèle imposé dans ces zones déjà sinistrées économiquement et socialement.
Mais sur ce dossier par exemple, comment l’union de gauche peut-elle tenir alors que le député sortant, Nicolas Sansu, membre du Parti communiste aujourd’hui candidat NFP au second tour, soutient le projet ? « A nous de faire naître le débat et de faire évoluer les idées », répond simplement Robert Mileta.

Une plateforme logistique de Virtuo, le porteur de projet de celle de Vierzon.

Eduquer à la citoyenneté et à la démocratie

Selon lui, les militant·e·s sur le terrain ont en effet un rôle fondamental à jouer : éveiller les consciences et les former à l’esprit critique, pour un plein exercice de la citoyenneté. « En s’appuyant sur le milieu associatif, les structures solidaires, culturelles, sportives… syndicales aussi. C’est tous et toutes ensemble que nous pouvons porter cette éducation à la citoyenneté et donc, à la démocratie. »

L’entre-deux tours a été court et n'aura sans doute pas suffi à mener à bien cette mission. Dans deux circonscriptions sur trois que compte le département du Cher, ce sont des duels qui se se sont joués entre l’extrême droite et la droite. « Le peuple de gauche a été tellement escroqué par le président de la République que je comprends qu’il soit difficile d’admettre de voter encore à droite, soupire Robert Mileta. Mais la menace de l’extrême droite est tellement réelle ! Les risques d’attaque sont trop grands, y compris justement sur les outils de développement de la pensée que sont les médias et les réseaux culturels. »
Au final, deux circonscriptions ont été remportées par Ensemble ! et une par le NFP.
Le militant écologiste veut se projeter : « Il faut continuer d’éclairer. Eclairer notre avenir. C’est dur mais nous allons le faire ! »

Politique agricole : le Rassemblement National ultra-libéral

De son côté, c’est à un jeu d’équilibriste auquel la Confédération paysanne s'est prêtée au niveau national : si le syndicat agricole n’appelait pas formellement à voter pour le Nouveau Front Populaire, il encourageait à rejoindre les manifestations organisées « par les intersyndicales et autres forces sociales, et à porter [ses] propositions pour des campagnes vivantes et solidaires » (4). « Par rapport aux programmes, c’est bien celui du Nouveau Front Populaire qui se rapproche le plus de nos valeurs », reconnaît toutefois François Crutain, membre de la Confédération paysanne dans le Cher, rappelant que l’objectif de son syndicat est de défendre, promouvoir et généraliser l’agriculture paysanne en luttant contre le modèle de l’agriculture industrielle.

La position du Rassemblement National en la matière ? Dans un communiqué publié le 13 juin, au lendemain des élections européennes et après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, la Confédération paysanne rappelait que « les votes au Parlement européen comme à l'Assemblée nationale [de l’extrême droite] ont montré qu'elle ne rompt en rien avec le libéralisme » (4). Le parti de Marine Le Pen flatte ainsi les agriculteurs industriels, « des ultra libéraux purs et durs », selon François Crutain : « Ils veulent exporter mais ça ne les dérange pas de faire appel à la collectivité en touchant les primes PAC (5) pour compenser les ravages de la politique libérale qu’ils soutiennent pourtant ! »

Autrefois, dans les campagnes, les plus précaires votaient à gauche. Aujourd’hui, iels reportent largement leurs votes sur l’extrême droite. Qu’en est-il des paysan·ne·s qui ont choisi un modèle où les revenus sont souvent modestes ? « Pratiquer l’agriculture paysanne, c’est un choix. Travailler en bio, en respectant le vivant, en privilégiant les circuits courts… c’est un réel choix. On cherche de la cohérence et de la joie dans le travail. Bien sûr, on doit faire face à des réalités économiques aussi, mais le but principal n’est pas d’amasser du revenu et du capital, comme les agriculteurs industriels le font. Je pense que les paysans votent avant tout pour ceux qui sont proches de leurs valeurs. »

Les sols détournés de leur fonction alimentaire

Durant cette campagne législative, les sujets agricoles, pourtant très présents ces derniers mois, ont été passés sous silence. « Pire que ça ! On n’a même pas parlé d’économie ou d’écologie. Les vraies questions devraient être : quel modèle économique voulons-nous ? Et quelles activités humaines faut-il mettre en œuvre pour continuer à vivre sur cette planète ? Au lieu de ça, on a des chaînes d’info continue qui mènent la danse en focalisant sur des sujets loin des réels enjeux. Elles jouent sur les émotions, pas sur une pensée complexe. »

Parmi les sujets importants que le syndicaliste aurait aimé voir débattus, l’accaparement des biens communs tels que l’eau et le foncier. « Si on prend les bassines (6), elles sont faites pour prolonger le système agro-industriel donc elles affaiblissent l’agriculture paysanne. » Même problématique pour le foncier : « A cause des agrandissements et du système d’achat des terres, il est très difficile d’installer des paysans sur des surfaces modestes. »

Mais le sujet « brûlant » contre lequel se bat particulièrement la Confédération paysanne actuellement, c’est « le détournement de la fonction alimentaire des sols » via les agro-carburants, l’agrivoltaïsme (7) ou encore les méthaniseurs. « Tout ceci cumulé, nous arrivons à plus d’un million d’hectares de surface agricole utile qui disparaissent, ce qui imposent de cultiver de manière encore plus intensive sur les surfaces restantes ! »

Les parcs agrivoltaïques recouvrent des terres autrefois destinées à l'alimentation.

Un autre modèle est possible

Comment François Crutain envisage l’après élections législatives ? « Les députés pour le vote des lois, c’est important. Mais tout dépendra du ministre de l’Agriculture, du ministre de la Transition écologique et surtout, de leurs rapports avec la FNSEA (8). Il ne faut pas négliger non plus la force des lobbys : les multinationales des semences brevetées, des engrais, des pesticides, du matériel agricole, de l’agro-alimentaire qui transforme les produits en malbouffe… C’est tout le modèle économique agricole qu’il faut remettre en question ! Sinon, même avec un gouvernement de gauche, ils continueront à faire leurs affaires sans rien changer. »

Parce que l’économie et donc l’agriculture sont aujourd’hui mondialisées, la Confédération paysanne s’appuie sur des mouvements internationaux tels que la Via Campesina (9) par exemple pour penser cette transformation globale.
Localement, le syndicat participe aux Projets Alimentaires de Territoires (PAT). Il défend également la Sécurité sociale de l’Alimentation : le but est de permettre un accès à une alimentation de qualité pour tous·tes, et de mettre en place une gestion citoyenne des moyens de production et de distribution alimentaires via des caisses locales. « Il y a un travail de fond à faire dans les campagnes pour montrer qu’un autre modèle est possible. Des économistes le disent : c’est possible. Il faut faire en sorte que les gens s’engagent progressivement mais c’est un travail qui dépasse les élections. C’est un travail à long terme. »

Le Nouveau Front Populaire pas clair sur le nucléaire

D’autres sujets ont été remis à « l’après élection » mais cette fois par absence de consensus au sein du Nouveau Front Populaire. Le nucléaire en est un. Le Parti communiste est plutôt pro atome, le Parti socialiste y voit une énergie de transition, tandis que La France Insoumise et Les Ecologistes militent d’ores et déjà pour 100 % d’énergies renouvelables d’ici à 2045. Le débat devrait avoir lieu au sein du Parlement puis dans le cadre des élections présidentielles de 2027.

En revanche, la position du Rassemblement National est très claire : « 100 % Bardella, 100 % nucléaire ! », résume Françoise Pouzet, membre du conseil d’administration de l’association Sortir Du Nucléaire Berry-Giennois-Puisaye. Pour la première fois de son histoire, le réseau national Sortir Du Nucléaire avait donné une consigne de vote : « contre l’extrême droite et pour des candidats qui affichent un programme garantissant la liberté associative, et en faveur des énergies renouvelables et de la sobriété énergétique ».

Dans un communiqué paru le 3 juillet, les membres de SDN interrogaient : « Que se passerait-il pour la politique énergétique française si le Rassemblement National obtenait une majorité de député·es à l’Assemblée nationale le 7 juillet ? » Jordan Bardella s’est prononcé à plusieurs reprises pour un moratoire sur les nouveaux chantiers éoliens, tandis que Marine Le Pen souhaite démonter les éoliennes déjà installées et un moratoire sur le solaire. Le tout au profit d’une seule et unique production énergétique : le nucléaire.

« Mais ce n’est pas possible, ni techniquement ni financièrement », assure Françoise Pouzet. En effet, même avec le plan de relance décidé par Emmanuel Macron, la France ne pourra pas avoir de nouvel EPR (10) avant 2035. De plus, le prix du mégawatt produit par l’industrie nucléaire a considérablement augmenté ces dernières années, devenant plus élevé que le mégawatt produit par les énergies renouvelables. « Pour développer le nucléaire, il faudra donc s’endetter encore plus alors que la France l’est déjà beaucoup », souligne Françoise Pouzet.

La centrale de Belleville-sur-Loire compte déjà deux réacteurs. Certains élus aimeraient y ajouter un nouvel EPR.

Un député sortant partisan d’un nouvel EPR à Belleville

Dans le Cher, bien avant les élections européennes et législatives, des élu·e·s avaient plaidé auprès d’EDF pour la construction d’un nouvel EPR sur le site de la centrale de Belleville-sur-Loire (11). Parmi elleux : François Cormier-Bouligeon, député sortant Renaissance, qui l'a emporté dans la première circonscription. Pour Françoise Pouzet, « c’était un gros coup de pub pour la relance du nucléaire, mais il n’y aura pas d’EPR à Belleville ». « La priorité, c’est Penly dont les travaux préliminaires viennent de démarrer, Bugey et Le Tricastin. » Le site de Belleville serait trop dépendant de la situation de la Loire, dont le niveau d’eau est très préoccupant l’été.

Ce qui inquiète aussi les militant·e·s dans la région, ce sont les légionelles : le 8 avril 2024, un prélèvement démontrait un taux plus de trois fois supérieur au maximum autorisé dans les circuits de la centrale de Belleville. « Lorsqu’elles colonisent les circuits de refroidissement d’une centrale, elles sont ensuite rejetées dans le fleuve avec les eaux chaudes, ou bien se retrouvent dans les déchets issus du nettoyage des tours aéroréfrigérantes, rappelle SDN. Les populations peuvent donc y être exposées. D’où l’obligation qu’a EDF de surveiller leur développement dans ses installations et de juguler leur prolifération. » Comment ? En utilisant des produits chimiques, eux aussi polluants et dangereux pour la santé. « Par son manque d’entretien de ses installations, EDF a donc causé une pollution chimique et microbienne », dénoncent les militant·e·s antinucléaires.
Selon Françoise Pouzet, il existerait d’autres solutions techniques pour combattre ces légionelles, notamment via des ultraviolets. « Mais EDF dit que ça ne fonctionne pas bien alors toutes les centrales passent à la monochloramine. Le mariage entre l’industrie chimique et le nucléaire, c’est un marché énorme ! »

Après les élections, « retourner à la bagarre ! »

Le prochain grand rendez-vous de SDN est prévu sur le Village de l’Eau qui se tiendra à Melle, dans les Deux-Sèvres, du 16 au 21 juillet. Le premier rassemblement militant de grande ampleur post-élections (12). C’est là, le jeudi 18 juillet, que se réunira la coordination antinucléaire pour informer, mobiliser, envisager la suite de la lutte. « Nous ne sommes pas très nombreux et nous sentons parfois découragé·e·s, mais on tient bon ! » assure Françoise Pouzet. Mais que faire des candidat·e·s de gauche qui ne partagent pas les idées des écologistes ? La priorité était de faire barrage au Rassemblement National. « Ensuite, c’est vrai, il faudra retourner à la bagarre ! »

Fanny Lancelin
(Photos : Virtuo, Pixabay, EDF)

Notes