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A Vierzon, l’église Saint-Célestin bientôt transformée en écolieu

15 octobre - 15 novembre 2023
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Une cuisine partagée, un café, une scène, une salle de conférence, un jardin pédagogique, des logements… A Vierzon, le site de l’église Saint-Célestin fait l’objet d’un projet original, autour des questions de l’alimentation et du logement. Une transformation à l’initiative du diocèse, dans le mouvement de l’Eglise Verte, à laquelle sont associé·e·s les habitant·e·s et des associations.

Lorsqu’enfant, je courais dans les grandes allées de l’église de mon village et que ma mère me reprenait, le curé de la paroisse l’arrêtait en lui rappelant que c’était une maison. « La maison de Dieu donc la maison de tous·tes. Laisse-la en faire ce qu’elle veut. » Il me laissait y jouer, y parler à voix haute pour en entendre l’écho, faire la sieste sur un banc…

Plus tard, à l’occasion de reportages, je découvris que les Protestant·e·s partageaient des repas dans leur temple, que des Anglican·ne·s accueillaient encore pour la nuit des déshérité·e·s dans un dortoir au creux d’une chapelle, que des Musulman·ne·s organisaient des cours du soir dans leur salle de prière…

Bien souvent, les églises catholiques sont considérées comme des sanctuaires, au point de les isoler de la vie quotidienne. Mais à Vierzon, un projet atypique ouvre grand les portes de l’une d’elles : la transformation du site de l’église Saint-Célestin en éco-lieu. Et tous·tes les habitant·e·s, qu’iels soient chrétien·ne·s ou non, sont invité·e·s à y prendre part.

Pour une prise de conscience écologique

L’idée a d’abord germé dans l’esprit de Père Olivier Crestois, curé de la paroisse de Vierzon depuis six ans. Que faire de l’église Saint-Célestin servant désormais très rarement aux cérémonies ? « L’archevêque ne voulait pas vendre. Il nous a dit : trouvez un projet ! », raconte le prêtre.

La transformation de l’église est née dans le cadre du label Eglise Verte (1), une démarche engagée à Vierzon depuis 2020. Impulsée par le pape François à travers son texte de référence, la lettre encyclique « Laudato si » (2), elle vise à encourager les communautés chrétiennes (catholiques, protestantes et orthodoxes) à prendre conscience de l’urgence écologique et ainsi, à prendre soin de l’ensemble de la Création, la planète et tous les êtres qui l’habitent.

Après avoir établi un éco-diagnostic et un plan d’actions, les communautés obtiennent un label et progressent à leur rythme selon différents niveaux d’engagement. « Le but n’est pas d’avoir une médaille, plaisante Père Olivier Crestois. Le but est de se mettre en chemin, de créer une dynamique. Mais nous avons décidé de prendre notre temps. La communauté de Vierzon est diverse, marquée par l’immigration, parfois par la précarité aussi. Quand on parle de sobriété écologique à des personnes qui sont en difficulté, ou qui arrivent d’autres pays dans l’espoir de goûter à une autre vie, ça peut être compliqué. Nous devons être attentifs, à l’écoute. »

Les premières victimes de la crise écologique sont précisément les plus précaires qui paient le prix fort de l’inflation sur l’alimentation ou de l’inadaptation de leurs hébergements au changement climatique. Le projet de l’église Saint-Célestin n’est pas seulement l’aménagement d’un bâtiment, mais une proposition autour de l’accès à l’alimentation et au logement. Pour cela, Père Olivier Crestois a invité des associations qui travaillent déjà sur ces sujets à constituer un « petit collectif ».

Des espaces pour recréer des communs

Parmi elles, le SHAB (Bureau des Surfaces Habitables), observatoire et laboratoire de recherche-action sur les petites et moyennes villes (3). Installé depuis trois ans à Vierzon, il compte une soixantaine de membres partout en France. Son objectif : créer un pont entre les habitant·e·s de territoires qui connaissent de grandes difficultés (économiques, sociales, urbanistiques…) et les professionnel·le·s de l’aménagement soucieux·se·s d’associer la population à leurs travaux.

Exemple d’événements organisés par le SHAB : en mai dernier, il a proposé aux Vierzonnais·e·s des « expéditions urbaines » pour cartographier la ville de manière sensible. « Il y avait trois parcours, précise Gabriel Violleau, architecte membre du SHAB. Un sur les friches urbaines, un autre sur les friches industrielles et un autre encore sur le lien ville / campagne. »

Dans le même esprit, le SHAB a animé un atelier de cartographie de l’église Saint-Célestin. « Beaucoup de gens y ont participé. C’est une première pierre pour redonner un souffle à ce site, avec une dimension autre que cultuelle. »

Le vendredi 22 septembre, à l'occasion d'une journée d'animation baptisée « Habiter autrement un territoire » et organisée par la régie inter quartiers C2S, le SHAB présentait la synthèse des échanges qui ont eu lieu jusqu’à présent sur l’avenir du site, sous forme de schémas. « Le but est de montrer qu’une autre manière de percevoir l’espace disponible dans l’église est possible, explique Gabriel Violleau. Les visiteur·se·s prennent progressivement conscience que l’église va se transformer. »

Se dessine ce qu’il appelle « l’abbaye du XXIe siècle », dans le sens où il s’agit de recréer des communs, des ressources gérées collectivement par une communauté de personnes : dans l’église, sont ainsi envisagés une épicerie solidaire, une cuisine partagée, un café, une scène, une salle de conférence, un espace ressources… A l’extérieur, un nouveau bâtiment pour des formations, un lieu d’hébergement dans la maison existante, un jardin pédagogique, un jardin de fleurs, une halle pour de la production et de la logistique…

Cette « abbaye » serait toutefois ouverte à tous·tes, et laïque. « Les espaces communs permettront de faire se croiser des gens qui ne se côtoient jamais habituellement », espère Gabriel Violleau.

L’alimentation et le logement au cœur du projet

La régie inter quartiers de Vierzon, C2S, est aussi partie prenante du projet. En 2020, elle a créé un écopôle alimentaire à La Chaponnière, afin de contribuer à une production alimentaire biologique, locale et accessible à tous·tes, notamment à travers des chantiers d’insertion de maraîchage et des jardins partagés aux pieds d’immeubles (4). « Notre objectif est de faire monter en puissance dans le débat public, la question de la transition et plus particulièrement de la transition alimentaire, rappelle Jean-Luc Birski, le directeur de C2S. En partant de l’alimentation, on tire un certain nombre de fils tous reliés aux inégalités. »

Imaginons : des légumes produits à l’écopôle transformés, conservés et / ou cuisinés à l’église Saint-Célestin. Des espaces de formation et des logements pour les jeunes et les personnes en chantier d’insertion. Des lieux de commercialisation et de partage des produits (marchés, épiceries sociales…).

Une réponse à « un vrai besoin social en local » et pour lesquels des financements existent au titre de la Politique de la Ville, par exemple.

« Terre-Travail-Toit : ce sont les fondamentaux des besoins humains pour avancer dans la vie, assure Père Olivier Crestois. L’alimentation, dans la tradition chrétienne, est importante : qu’est-ce qu’on cherche à nourrir vraiment ? Dans notre corps mais aussi dans notre histoire de vie ? »

Ainsi, l’accès à une alimentation de qualité pour tous·tes est aussi un enjeu majeur pour lui : « Au moment du pic de l’inflation, j’ai été frappé de voir qu’on soulignait qu’il n’y avait plus de pâtes et que le prix du poulet avait augmenté. Mais personne ne disait qu’on pouvait s’en sortir en mangeant plus de légumes et de légumineuses ! Ça coûte moins cher et ça apporte bien plus de protéines qu’une viande de mauvaise qualité soi-disant bon marché. C’est intéressant en termes de nutrition, d’économies et c’est plus écologique. »

Des réactions positives

Comment faire participer l’ensemble de la population à ces questions et l’inviter à s’en saisir activement ? Les événements proposés depuis quelques mois à l’église sont ouverts à tous·tes et permettront de faire évoluer le projet.

« Jean-Luc nous a dit : il faut vivre des expériences ensemble, c’est ça qui nous ouvrira le chemin », raconte Père Olivier Crestois. Selon le directeur de C2S, le projet se construira sur « une trajectoire assez longue » : « Il faut faire adhérer les habitant·e·s et multiplier les partenaires. »

L’église devra-t-elle être désacralisée ? « Elle sert déjà très peu au culte, rappelle le curé de la paroisse. Ce sera à l’évêque de prendre la décision. Elle appartient au diocèse donc la démarche serait assez simple. » Les réactions des paroissien·ne·s semblent plutôt positives. « Les gens seraient heurtés si l’église était détruite ou vendue pour un projet quelconque. Mais là, c’est un projet porté par le diocèse ouvert à tout le monde. Ça ne les choque pas. »

Pour autant, Père Olivier Crestois reste attaché à la dimension sacrée du lieu : « La spiritualité, c’est de pouvoir dire ce qui nous anime, ce qui nous habite. Il faut des espaces de ressourcement pour ça. Avec Gabriel, nous réfléchissons à un cloître de verdure. »

En attendant, les animations vont se poursuivre sur le site : en novembre, C2S invitera tous les tiers-lieux (5) du Cher pour une journée d’échanges et des projections de films dans le cadre du festival Alimenterre (6). Une nouvelle occasion pour la population de se rencontrer autour de ce projet atypique et de donner leur avis sur l’avenir de cette maison commune.

Texte : Fanny Lancelin
Plans de l'église : le SHAB.

Notes

Plus

Histoire

L’église Saint-Célestin doit son nom à Célestin Gérard, patron de la Société Française (célèbre entreprise de machinerie agricole vierzonnaise), qui fit don du terrain à l’Eglise. Le projet de construction démarra juste avant 1905 mais fut interrompu par la promulgation de la loi dite de Séparation de l’Eglise et de l’Etat, plus aucun crédit public n’étant accordé à la construction d’édifices servant au culte. « C’est aussi ce qui explique qu’elle soit plus petite qu’initialement prévu », souligne Père Olivier Crestois, curé de la paroisse de Vierzon.
Autre particularité : contrairement à la plupart des églises tournées vers l’Est, vers le soleil levant (symbole d’espérance et de renouveau), le chœur de l’église Saint-Célestin est orienté plein sud. Sans doute à cause de la présence d’une maison bourgeoise sur le terrain (qui devint le presbytère), ce qui laissait peu de possibilités dans l’orientation de l’édifice.
Rappelons que la ville de Vierzon est la réunion de quatre villages. Chacun avait son église.