
De (Re)bonds à (Re)bondissons !
Si (Re)bonds était une saveur, il serait une galette de sarrasin fourrée au pesto d’ail des ours. Un véritable mélange des deux territoires où j’ai le plus vécu et écrit, où j’ai le plus grandi aussi : la Bretagne et le Berry. Dans mon Ouest natal, j’ai acquis l’expérience qui m’aura permis, quelques années plus tard, de trouver l’assurance de lancer un webzine dans la région Centre. L’un a donc nourri l’autre.
Le 15 avril 2017, lors de la soirée de lancement de (Re)bonds, galettes de sarrasin et ail des ours étaient au menu. Depuis, chaque année à la même période, je souris en voyant la précieuse plante percer la terre des sous-bois : « Un an de plus, déjà... ». Dimanche, en cueillant des pousses près de Menetou-Salon, j’ai souri davantage : « Cette fois, tout recommence mais différemment. C’est l’an zéro d’une nouvelle expérience ! »
Il y a quelques mois en effet, des habitant·es du Cher ont répondu à l’appel que j’avais lancé : iels m’ont rejoint pour imaginer ensemble un média indépendant réellement collaboratif. Une dizaine de personnes se réunissent désormais régulièrement pour apprendre à se connaître, échanger sur leurs rôles au sein du webzine, sur la place qu’iels veulent y donner aux autres habitant·es, mais aussi pour interviewer, écrire, co-construire un premier numéro… Je les accompagne en essayant de tenir compte des désirs et des avis de chacun·e, en partageant outils et expériences. Je reste pour l’instant l’éditrice et l’administratrice du site, mais j’espère qu’une autre structure se mettra en place pour une organisation la plus collégiale possible. Mais laissons l’expérience se dérouler à son rythme !
Un magazine autour d’habitant·es du Cher
Quel bilan tirer de ces huit années ? Il faut d’abord revenir aux raisons qui m’ont poussée à créer un magazine sur Internet, quasiment seule, sur un micro territoire.
Je ne suis pas tombée dans la presse locale par dépit. Plutôt par hasard, d’abord. Véritablement par passion, ensuite. Je n’ai envoyé aucune candidature aux médias nationaux. Jamais. Aux titres « Libération », « Le Figaro », « L’Humanité », je préférais « Le Courrier de la Mayenne », « Les Dernières Nouvelles d’Alsace », « La Nouvelle république du Centre Ouest », « Les Infos du Pays de Ploërmel », « La Voix du Sancerrois »… Non que je ne me sentais pas capable. Mais la proximité évidente des « localier·es » avec leur sujet et leurs lecteur·ices m’a tout de suite plu.
Couvrir un micro territoire au sein d’une micro équipe avec de micro moyens, je l’ai fait pendant treize ans. De jour, de nuit, la semaine, le week-end. Pour un salaire souvent à peine plus élevé que le Smic. J’ai écrit des articles, pris des photos, assuré la mise en page, animé des réseaux de correspondant·es, saisi des petites annonces même, et jusqu’à livrer le journal ! J’ai adoré ça.
Je me sentais libre. D’écrire. De dire. De dénoncer. D’encourager. D’aimer. D’objecter. De poser un regard critique mais bienveillant sur mon environnement.
Je ne m’ennuyais jamais. Du concours de labour à une visite du Président de la République, d’une grève chez un sous-traitant automobile à la résidence d’un·e artiste, d’une compétition de boules de Fort à l’interview d’un chirurgien cardiaque… J’ai traité tant de sujets ! J’aimais à répéter que j’étais payée pour écouter des histoires et les raconter. Pour une boulimique de savoirs comme moi, c’était nourrissant.
En devenant rédactrice en chef, j’ai entrevu avec effroi, impuissante malgré mes efforts, le sort qui est réservé à la presse locale. Je parlais encore « contenu », « lecteur·ices », « collaborateur·ices ». On me répondait « produit », « client.es », « N-1 »… Je parlais « participation », « projets collaboratifs », « épanouissement des équipes ». On me répondait « respect de la hiérarchie », « management », « réduction des finances »… Mais comme je m’étais moi-même mise en cage et que j’avais conservé la clé, j’ai pu reprendre mon envol.
Un an de « wwoofing » (1) plus tard, j’ai décidé de créer un magazine d’informations autour d’habitant·es du Cher. Ce magazine vivrait selon les valeurs de qualité du contenu, de subjectivité assumée, de proximité avec le lectorat, d’indépendance vis-à-vis du monde marchand.
Une subjectivité assumée
Le magazine que je proposais ne se voulait pas « objectif ». Je n’ai jamais cru à la notion d’objectivité journalistique et la crois même dangereuse car elle leurre les lecteur·ices.
Au sens philosophique du terme, je ne suis pas un objet, je suis un sujet. Mon travail – comme toutes les actions de ma vie – est subjectif. Consciemment ou non, mon regard est orienté par mon éducation, ma culture, mes connaissances, mon caractère, mes aspirations, ma sensibilité… Je m’exerce régulièrement à aller à leur encontre mais par ce simple fait, j’opère un choix et agis en tant que sujet ; mon positionnement reste donc subjectif.
Je ne crois pas en l’objectivité mais en la double honnêteté : vis-à-vis de moi-même et de toutes les valeurs qui me constituent ; vis-à-vis de mes interlocuteur·ices, ici interviewé·es et lecteur·ices.
(Re)bonds n’est donc pas un magazine objectif mais subjectif et l’assume.
Durant ces huit ans, les sujets, aux thématiques et aux angles variés, ont tous eu un point commun : ils visaient à révéler qu’un autre monde est possible que celui du capitalisme, qu’une autre vision de l’être vivant et de sa place sur cette planète est possible.
Fidèle aux principes de La Presse Pas Pareille (2), (Re)bonds donne la parole à des personnes souvent invisibilisées dans les médias dits « classiques » : les minorités de genre, les exilé·es, les jeunes, les personnes à diversité fonctionnelle, les marginaux et marginales ou celleux considéré·es comme tel·les… Dans le même esprit, avec les camarades qui m’ont soutenue, nous avons adopté l’écriture inclusive et nous avons travaillé à une nouvelle version du site plus accessible aux personnes mal-voyant·es ou souffrant de dys.
Dès la première année et sans véritable publicité, le nombre de lecteur·ices est passé de quelques centaines à près de 15.000. L’un des enjeux majeur de la nouvelle équipe sera de faire connaître l’expérience collective que nous lançons, baptisée (Re)bondissons, au-delà des cercles proches.
Dès le départ également, (Re)bonds a été financé par des ateliers d’éducation aux médias animés dans les établissements scolaires et au sein d’associations : une manière de rester accessible gratuitement à tous.tes types de lecteur·ices et de ne pas dépendre d’annonceur·ices... et de leur positionnement politique… Le nombre de ces ateliers a beaucoup évolué et s’adressent désormais, aussi, à des personnes étrangères dont la langue maternelle n’est pas le français.
Des parcours de vie pluriels
Quel est l’intérêt de faire évoluer (Re)bonds aujourd’hui ? Au sentiment de liberté de travailler et de décider seule, a suivi progressivement le besoin de retrouver une équipe pour échanger, confronter les idées, se remettre en question, se nourrir…
Pourquoi le proposer à des volontaires non journalistes ? Parce que la production de l’information est l’affaire de tous·tes. En réunissant des habitant·es qui se sentent concerné·es, impliqué·es par le monde qui les entoure et qui exercent sur lui leur esprit critique, (Re)bondissons enrichira le paysage médiatique de nouvelles manières de penser, d’appréhender les enjeux de la société actuelle, de présenter des initiatives qui favorisent un changement radical vers plus de justice sociale et écologique.
Christelle, Christiane, Colas, Isamiztli, Jean-Louis, Jean-Luc, Johann, Krayon Barok, Marie, Natacha, Thierry... tous·tes ont des parcours de vie pluriels et s’expriment avec des subjectivités assumées. Dans quelques jours, le mardi 15 avril, nous publierons ensemble notre premier numéro et fêterons les huit ans du webzine. Chacun·e apportera son ingrédient pour composer de nouvelles saveurs…
Fanny Lancelin
Notes
- (1) Wwoofing : World Wide Opportunities on Organic Farms.
- (2) https://www.syndicatdelapressepaspareille.org/
Plus
Iels participent à l'expérience de (Re)bondissons :
Christelle : « Je viens de la République démocratique du Congo. J’ai toujours rêvé de faire le métier de journaliste. L’expérience de (Re)bondissons me permet d’apprendre et peut-être de réaliser un jour ce rêve ! Je participe à la démarche de faire des articles dans les quartiers et auprès des jeunes. »
Christiane : « Historienne et artiste, je m’intéresse particulièrement à l’histoire politique. Rejoindre (Re)bondissons a été une magnifique opportunité de s’allier à une communauté de valeurs et d’actions très ouverte et très motivante, de développer des pratiques collaboratives pour faire entendre des voix critiques qui doivent continuer à se développer. »
Colas : « Dessinateur et graveur de profession. Ces savoir-faire doivent se partager : car l'avenir des territoires sera fait de sobriété et d'entraide, ou bien ne sera pas. Je ne vois pas de priorité supérieure à la généralisation de l'équité internationale ! Les scandales sont trop nombreux pour que l'on laisse notre temps filer. »
Isamiztli : « De retour en France après un exil volontaire de 28 ans au Mexique, où ma volonté était d'apprendre du Mexique et de ne pas être étrangère, je crois en une grande famille humaine au-delà des passeports et des frontières. Je voudrais donner la parole à celles et ceux qui vivent ici dans le Cher et qui viennent d'ailleurs. »
Jean-Louis : « Retraité actif, conscient du rôle clé de l'intégration de la jeunesse pour une société vivante et à l'avenir assuré, je souhaite mieux la connaître pour mieux la faire connaître. Ma priorité ira vers la jeunesse des quartiers et de celles et ceux, institutions, associations, qui ont à faire à elle. »
Johann : « Militant décolonial antifasciste. J'ai voulu rejoindre l'aventure, avant tout par admiration et respect pour le travail qui a été accompli jusqu'à présent. J'espère, par mes petites contributions, pouvoir donner de la force à (Re)bonds, dans cette période où, plus que jamais, nous devons faire front uni face au péril fascisant qui approche. »
Krayon Barok : « Attaché depuis toujours aux espaces d’expression, je pratique l’écriture sous différentes formes et compte m’essayer à des formats vidéo et audio. Fuyant toutes formes de dogmatisme et d’académisme, je souhaite mettre en valeur la multiplicité des mondes et des individus. Je réside à Bourges depuis une vingtaine d’années. Je suis aussi vieux que le punk mais toujours aussi vivace que le hip hop. »
Natacha – relectrice de (Re)bonds depuis huit ans : « Lectrice fidèle de Fanny, l'éditrice, et ce depuis qu'elle s'est mise à rédiger des textes... Je n'habite pas le Cher, je ne suis pas journaliste, juste une aidante familiale (rien à voir !) qui aime lire et découvrir autrement. J'apprécie les autres manières de questionner, angles d'approche et la diversité des sujets que se permet (Re)bonds. Alors en avant pour cette nouvelle aventure ! »
Thierry : « J'ai rejoint le projet parce qu'il n'y aura jamais assez de critiques ni assez d'alternatives face aux formatages marketés de la presse mainstream, pour contribuer à libérer les paroles et émanciper nos esprits. »
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