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Centre LGBTQIA+ Berry : accueillir, échanger, lutter

18 juin - 15 juillet 2023
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C’est à la veille du lancement du Mois des Fiertés, le mercredi 31 mai, que le Centre LGBTQIA+ Berry a inauguré son nouveau local à Bourges. Un espace d’accueil, d’écoute et d’orientation des personnes, de formation des bénévoles et d’organisation d’événements. Un lieu de transmission d’histoires et de savoirs politiques, aussi. Car si les droits des personnes LGBTQIA+ progressent, le combat contre les discriminations n’est pas encore gagné. Y compris dans le Berry.

Rien ne le différencie des autres maisonnettes en béton, mitoyennes, construites dans cette partie populaire du quartier du Val-d’Auron à Bourges appelée le square d’Alice. Il est ainsi possible de pousser la porte du Centre LGBTQIA+ (1) Berry en toute discrétion, comme si l’on entrait chez un·e ami·e. Une dizaine de bénévoles s’y relaient chaque mercredi pour assurer une permanence sur site et au téléphone pour celleux qui ne peuvent pas se déplacer. Ici, on peut obtenir des informations sur les questions touchant aux LGBTQIA+, rencontrer des membres de la communauté, partager un temps convivial et créatif, s’investir dans l’association…

Sarah Szymanski, la présidente, décrit : « Il y a une salle commune au rez-de-chaussée avec une bibliothèque. A l’étage, un bureau pour des échanges plus confidentiels et un vestiaire, notamment pour les personnes en transition. » A quelques mètres de là, au centre social du Val-d’Auron, l’association bénéficie également d’une salle pour les activités supposant davantage de place. C’est d’ailleurs là qu’elle tenait ses permanences depuis sa création, il y a deux ans. Aujourd’hui, toujours soutenue par la mairie de Bourges, elle loue son nouveau local au bailleur social France Loire.

 

« Un espace sécurisé pour les personnes queer »

La peinture est encore fraîche et quelques cartons restent à défaire lorsque Laura, David, Kaya, Sophie, Léonor, Thomas et Ahri y assurent leur première permanence le mercredi 7 juin.

Agée de 30 ans, Laura a grandi à Bourges. « Quand j’ai su qu’une association se montait, ça a fait écho à l’adolescente que j’étais à 15 ans. J’aurais aimé qu’elle existe à l’époque, pour me sentir moins seule… Heureusement, il y avait Internet pour répondre à mes questions. J’ai appris à apprivoiser mon identité sexuelle et mon identité de genre ; j’ai plus d’expérience et j’ai envie de la partager. Je voulais contribuer à offrir un espace sécurisé aux personnes queer (2). Ici, c’est un endroit où l’on peut être à 100 % soi, sans être jugé·e. Il n’y aura jamais de questions gênantes. »

Le Centre accueille des habitant·e·s de Bourges et des alentours, âgé·e·s pour la plupart de 16 à 40 ans. « Iels ont lu des articles sur nous ou des posts sur les réseaux sociaux, explique Laura. Le bouche-à-oreille fonctionne aussi très bien, ainsi que les événements que nous organisons. » Selon les thématiques, les personnes sont dirigées vers certain·e·s bénévoles ou professionnel·le·s de santé. « Actuellement, nous sommes de plus en plus sollicité·e·s sur la transidentité, précise Laura. Le problème, c’est que nous vivons dans un désert médical. Pour les endocrinologues, on galère : c’est Tours ou Orléans ou Paris. »
« Nous recevons aussi des demandeur·se·s d’asile », complètent les autres bénévoles. « C’est intéressant parce que ça casse le stéréotype que les LGBT, ce serait un truc de bourgeois·e·s blanc·he·s ! » « Certain·e·s réfugié·e·s ont quitté leur pays parce qu’iels étaient persécuté·e·s précisément en tant que LGBT. C’est très dur pour elleux car l’administration française leur demande de prouver ces raisons-là. Alors qu’admettre qu’iels sont LGBT peut signer leur arrêt de mort… » « On est vraiment dans l’intersection : on se rend compte que lorsqu’on touche aux droits des LGBT, on touche aux droits des demandeur·se·s d’asile et vice-versa... »

 

Les droits attaqués partout dans le monde

Partout dans le monde, les droits des LGBTQIA+ sont sans cesse remis en cause. A l’occasion du 17 mai, journée mondiale de la lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, les médias rappelaient la triste réalité de certains pays : en Chine, le centre LGBTQI+ de Pékin fermé après 15 ans d’existence ; dans certaines régions du Nigéria, la lapidation pour celleux qui ont des rapports avec des personnes de même sexe ; au Kenya, une criminalisation par voie de justice pour ces mêmes actes ; en Ouganda, un projet de loi pour interdire la promotion de l’homosexualité avec la peine de mort à la clé…

Tout près de nous, en Hongrie, après la loi qui interdit de parler de l’homosexualité à l’école, l’Etat veut encourager à dénoncer ses voisin·e·s homosexuel·le·s. En Russie, nouvelle disposition clairement LGBTphobe : le Parlement veut interdire les changements de genres.

Jusqu’aux Etats-Unis, où le gouverneur de Floride propose que les professionnel·le·s de santé puissent faire jouer leur clause de conscience s’iels ressentent des vibrations homosexuelles chez leur patient·e… (lire aussi la rubrique (Re)vue).

Et en France ? Cette année marque le dixième anniversaire du mariage pour tou·te·s. En 2022, c’étaient les 40 ans de la dépénalisation de l’homosexualité en France. A cette occasion, Elisabeth Borne, la Première ministre, avait annoncé le déblocage de 3 millions d’euros pour ouvrir dix nouveaux centres LGBTQIA+ (en plus des 35 existants) et la nomination d’un ambassadeur aux droits LGBT, Jean-Marc Berthon. Son rôle est de promouvoir l’égalité des droits notamment dans l’Union européenne.

La France serait-elle en mesure de donner des leçons de courage politique aux autres ? Dans ce domaine, quelques-unes, si l’on en croit le classement établi par Ilga World, l’association internationale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes. En 2023, tous critères confondus, la France prend la 8e place des pays qui respectent les droits des personnes LGBTQIA+, derrière Malte (1er rang), la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, le Luxembourg et la Suède. Les derniers sont la Pologne (27e rang), la Roumanie, la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie et l’Italie (3).

 

Se battre pour les personnes intersexes et transgenres

Kaya, bénévole du Centre LGBTQIA+ Berry reconnaît qu’en France, les droits sont mieux respectés que dans son pays d’origine, la Pologne. Mais il reste une marge de progression, « sur le refus des mutilations, par exemple. »

En 2021, le député LREM Raphaël Gérard avait déposé un amendement visant à interdire les mutilations sur les enfants intersexes. Il voulait ainsi inscrire dans le Code de la Santé publique qu’ « il ne peut être porté atteinte à l’intégrité corporelle d’un mineur dans le but de conformer l’apparence de ses organes génitaux au sexe masculin ou féminin, que si l’intéressé exprime personnellement sa volonté de subir une telle intervention ». Le Collectif Intersexes et Alli·é·e·s (CIA) avait alors regretté un champ d’application restreint, ne tenant pas compte des hormonothérapies et des gonadectomies.

Depuis 2016, la France est pourtant sommée d'agir pour mettre un terme à des « actes inhumains et dégradants » par des instances internationales comme le Comité contre la torture de l'ONU et le Conseil de l'Europe, mais aussi, en interne, la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT, la Défenseure des droits et le Conseil d’Etat (4).

Pour Laura, l’autre sujet important, c’est « la transidentité », notamment sa reconnaissance par l’administration. L’enquête LGBTQI+ Pride 2023, menée par l’institut de sondage IPSOS, montre que 63 % des Français·e·s jugent que les personnes transgenres sont « énormément ou beaucoup discriminées ». 55 % considèrent que les adolescent·e·s devraient être autorisé·e·s à débuter un parcours de transition s’iels ont l’accord de leurs parents. Mais iels ne sont plus que 44 % à considérer que les documents délivrés par l’Etat (passeport, carte d’identité…) devraient comporter une autre option que « homme » et « femme » pour les personnes qui ne s’identifient ni à l’un ni à l’autre genre (5). En janvier 2023, la Cour Européenne des Droits de l’Homme avait validé le refus de l’Etat français de faire figurer la mention « sexe neutre » sur les documents d’état civil.

 

Une agression tous les deux jours

« A chaque fois qu’il y a des progrès, il y a des réactions de repli », souligne Kaya. C’est aussi l’avis de Flora Botler, co-directrice de l’observatoire LGBTQI+ de la fondation Jean Jaurès, qui a publié le 16 mai dernier un rapport sur la haine LGBTQI+ en France (6). En 2022, elle a enregistré 53 % de signalements en plus par rapport à 2021, notamment de propos LGBTphobes dans les médias ou sur les sites dits de la « fachosphère ».

L’association SOS Homophobie publie également un rapport chaque année, à partir de sa ligne d’écoute et de ses espaces numériques, où elle a reçu 1.502 témoignages. Elle estime que les agressions physiques ont augmenté de 28 % en un an : soit une agression tous les deux jours ! Les actes transphobes ont augmenté de 27 %.

Les discriminations ont pris aussi plus de place dans les commerces et les agences immobilières, mais l’école et les entreprises sont aussi des lieux où les violences s’expriment.

Enfin, l’association souligne la banalisation des comportements LGBTphobes sur les réseaux sociaux et dans les médias (7).

 

« L’Etat ne fait pas son travail »

Dans un chapitre intitulé « L’Etat ne fait pas son travail », SOS Homophobie considère que les moyens actuels ne sont pas à la hauteur des enjeux. La formation, des personnels d’éducation et des agents des forces de l’ordre (qui refusent encore trop souvent de prendre les plaintes), doit être renforcée. Pour sensibiliser l’ensemble de la population, les campagnes doivent se multiplier. Auprès des plus jeunes, les cours d’éducation à la sexualité doivent être plus nombreux et plus réguliers, tout au long de la scolarité. « Ces cours doivent intégrer des aspects en lien avec la biologie (reproduction, anatomie, lutte contre les infections sexuellement transmissibles, etc.), avec les relations psychoaffectives (l’estime de soi, les orientations sexuelles, les identités de genre, etc.) et avec les liens sociaux (consentement, les stéréotypes de genre et les LGBTIphobies, etc.) », peut-on lire dans le rapport.

La réponse du gouvernement ? Un nouveau plan pour l’égalité, contre la haine et les discriminations LGBT+, qui succédera au plan 2020-2023, devrait être annoncé dans les prochains jours (8).

 

Dans le Berry, l’extrême-droite à la manœuvre

Les militant·e·s n’attendent pas l’Etat pour se mobiliser, car les intolérant·e·s, les extrêmistes de droite, ne font pas de pause. A Tours, le 23 mai dernier, le centre LGBTQI était attaqué à la bouteille explosive. A Perpignan, le 5 juin, les locaux d’un même centre étaient dégradés, une croix celtique sur un mur en guise de signature.

L’association du Berry a aussi été pris pour cible mais d’une autre manière : en mai, elle organisait un ciné-débat à Saint-Amand-Montrond autour du film « Tomboy » de Céline Sciamma. Un tract intitulé « Non à la promotion de l’idéologie LGBT auprès de nos enfants » signé de membres du parti d’extrême-droite Reconquête ! avait alors incité le cinéma à annuler la projection, malgré la mobilisation d’environ 65 habitant·e·s criant au scandale.

Les bénévoles du Centre n’ont pas vraiment été surpris·e·s. « Les mots utilisés sont là pour faire peur et ce sont les mêmes partout », souligne Kaya. « C’est sans fond, de mauvaise foi, soupire Thomas. C’est tellement creux que ça devrait s’éteindre tout seul… mais non, c’est encore là. »

Sophie esquisse un sourire : « Indirectement, iels nous font de la pub. Ça donne encore plus envie d’aller voir le film ! » Et en effet, 150 personnes étaient présentes à la projection qui a enfin pu se tenir, mais à la Cité d’Or de Saint-Amand, quelques jours plus tard. Sans incident.

Et pour la deuxième édition de la Marche des Fiertés organisée par l’association, entre 350 et 400 personnes ont manifesté dans les rues de Bourges, ce samedi 17 juin (écouter le podcast disponible à la rubrique (Re)visiter, intitulé « A Bourges, fier·e·s aussi ! »). Une belle réussite pour la quinzaine de bénévoles présent·e·s sur le terrain.

Texte et photos : Fanny Lancelin

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Pratique. Les permanences du Centre LGBTQIA+ ont lieu square d’Alice à Bourges, tous les mercredis de 18 h 30 à 20 h 30, et par téléphone au 07.68.18.95.77. Un mercredi par mois, une activité créative est proposée.
Plus de renseignements sur le site de l’association : https://centrelgbtqiaberry.fr/